LF : Tu pratiques le saxophone alto ainsi que le piano. Penses-tu que ton écriture, en tant que compositeur, soit plus celle du pianiste ou du saxophoniste ?
OB : Je me sens tout d'abord très proche du piano, son coté harmonique, orchestral, sûrement le reflet de mon amour pour la musique classique et toutes ces années passées à jouer Ravel, Schumann ou Debussy pour n'en citer que quelques uns. C'est un instrument qui a accompagné toute mon existence, j'ai commencé à 4 ans et demi et j'ai l'impression d'avoir toujours vécu avec cela. Il se trouve que ce disque « Imaginary Traveler », a été composé pour moitié au piano, et l'autre moitié...à la guitare :-) J'avais appris intensivement cet instrument il y a quelques années, lorsque je n'avais plus de piano chez moi, et que l'aspect harmonique de la musique (on ne peut jouer qu'une seule note à la fois avec le saxophone ) me manquait cruellement.
Mais les mélodies ont toujours été trouvées à la voix, jamais au saxophone. Je suis très sensible au lyrisme d'un morceau, à quelque chose qui doit chanter, quelque soit la complexité rythmique ou harmonique de ce qui est écrit ou joué. Stravinsky parle de cela dans un de ses livres," Poétique musicale", et j'aime beaucoup cette vision de la musique. Je n'ai jamais rien écrit au saxophone, pour le saxophone; cela vient probablement du fait que je ressens et considère cet instrument comme le prolongement naturel de la voix, et non pas comme un instrument en lui même.
LF : "Imaginary Traveller" (voyageur imaginaire) est-il pour toi et pour tes musiciens qui se joignent à ce projet, un voyage dans l’inconnu en laissant derrière soi toutes ses influences musicales et humaines ou est-ce une volonté commune à tous de développer votre savoir ainsi que vos émotions au travers d’une fraternité ?
OB : La musique est en permanence un voyage dans l'inconnu, une découverte ininterrompue de ce qui nous gouverne, nous touche, nous fait grandir, et toutes ces choses évoluent sans cesse car on ne cesse de se découvrir au fil du temps. La musique est une merveilleuse « leçon » de vie pour cela. Mais c'est aussi affaire de communication, d'échange, de dialogue et de partage émotionnel et humain. Je pense que ce disque est un peu tout cela.
LF : Toujours sur le titre de ton album "Imaginary traveller" : personnellement, tu te sens plutôt rêveur sédentaire (un voyageur imaginaire) ou vrai routard qui aime parcourir le monde hors des sentiers battus ?
OB : C'est assez marrant que vous me posiez cette question. Le titre n'a en effet pas été choisi au hasard. Il est parti d'un livre qu'une amie m'a offert en cadeau pour mes 30 ans, où elle avait inscrit comme petit mot à l'intérieur: "A un voyageur imaginaire". Je me suis dis que ça me correspondait assez bien, à ce que je suis et à ce que ce disque m'évoque finalement. Il se trouve que j'ai passé une grande partie de ma vie à rêver de voyages, à lire sans cesse des récits d'écrivains voyageurs, Nicolas Bouvier en tête, mais que j'étais rempli de peurs diverses qui m'empêchaient de vraiment m'envoler loin. J'ai effectivement été longtemps ce rêveur sédentaire. La musique a longtemps été pour moi, et l'est peut être toujours, un moyen magique d'évasion et d'envol, peut être du fait de son coté immatériel et impalpable, qui fait appel à nos émotions les plus enfouies. Etre assis quelque part, n'importe où, et se retrouver emporter loin, très loin, juste au contact du son, est une chose assez extraordinaire. Ce disque a été conçu avec en permanence l'idée d'une musique qui puisse être entre autre, notre compagnon de route en quelque sorte, un petit quelque chose que l'on emmène partout et qui nous accompagne. Il se trouve que cet enregistrement m'a libéré d'un tas de choses, et entre autres de certaines peurs qui m'empêchaient de m'évader physiquement. J'ai un besoin vital de nature, de lumière, de couleurs
LF : Ta musique semble dégager une impression de joie, de mouvements harmonieux, de cheminement bondissant, parfois inattendu. Les tensions ou les tourments de la vie, son côté sombre ou grave, semblent comme mis à distance. Te retrouves-tu dans ces propos? Si oui, dirais-tu que c'est plus un trait de ton caractère ou un choix conscient ?
OB : Je suis très touché et heureux que vous soulignez cela. J'ai toujours eu un lien très particulier avec la musique, très personnel. Elle m'a souvent sauvé, souvent apaisé. Plusieurs morceaux de ce disque ont été composés à des moments parfois très douloureux pour moi, mais à chaque fois je sentais que ce qui se dégageait était quelque chose de lumineux, qui transcendait tout cela. Je ressens la musique comme une source libératrice, pas comme quelque chose qui écrase et accentue nos états sombres, qui nous emmène vers les abîmes. Ce qui n'empêche pas que tous ces états soient contenus à l'intérieur de cette musique. Il y a certains morceaux ou passages que je jouais et rejoue encore lorsque j'ai besoin de trouver un peu de paix au milieu de moments un peu plus tourmentés. La musique a toujours été aussi une sorte de thérapie miraculeuse ;-)
LF : Tu es entouré et nourri par quatre formidables musiciens. Peux-tu nous parler un peu d'eux ?
OB : Difficile de ne parler qu'un peu d'eux :-)
Ce groupe est une formidable aventure humaine débutée il y a un peu plus de 8 ans. Il se trouve que chacun joue dans le groupe de l'autre, comme une sorte de collectif, mais sans que personne ne doive quoi que ce soit à qui que ce soit. Ce sont tout d'abord de formidables musiciens, qui à chaque concert m'inspirent et me surprennent, je dirais même que plus cela avance, plus ils m'inspirent et me surprennent davantage ! Mais ce sont en plus des amis de longues dates, des personnes extraordinaires humainement parlant, avec qui l'égo est inexistant, où le désir de prouver quoi que ce soit aux autres est totalement absent. C'est un bien précieux pour faire se développer la musique, quelque chose auquel je suis extrêmement sensible. Il y a quelque chose d'inexplicable pour moi lorsque l'on se retrouve ensemble, que ce soit dans mon groupe ou dans le groupe de Nicolas Moreaux, qui est constitué de musiciens communs aux deux groupes, une espèce de communication au delà des mots et des notes.
LF : Qu'est-ce qui t'a amené à faire ce choix musical du quintet, et non d'un quartet ou d'un sextet ? Quels équilibres, timbres, etc. recherches-tu ?
OB : Déjà, je voulais absolument ce mélange harmonique Piano / Guitare. Ces couleurs qui s'enchevêtrent et se mélangent. Aussi cela me permettait d'avoir en permanence un instrument qui double la mélodie et la renforce, plus un autre qui colore tout cela, et le coté harmonique et mélodique de ces deux instruments permettait d'inverser les rôles et de changer de couleurs entre les morceaux.
C'est aussi une question de son de groupe. J'aime beaucoup, outre le Jazz et la musique classique, des musiques comme la folk et le rock. Et j'aime particulièrement cette formule du 5tet Piano Guitare qui me permet de naviguer entre tous ces différents types de sons, et de créer finalement une musique qui se rapproche au plus des mes influences et de ce qui me touche.
Je viens d'enregistrer à New York en 4tet (saxophone, piano, contrebasse, batterie), avec Tigran Hamasyan, Sam Minaie et Jeff Ballard un projet un peu diffèrent. J'avais envie d'exploiter un autre son, plus épuré, plus centré autour du piano (tous les morceaux de ce prochain disque ont là été écrits au piano ). Mais j'aime beaucoup les possibilités de son qu'offre cette formule du 5tet.
LF : Tu es passé par "l'école classique" et les conservatoires. Qu'est-ce que tu en retiens, en bien et peut-être en un peu moins bien… ?
OB : Pas forcement que du bon... :-)
Pour ce qui est du conservatoire, j'ai toujours détesté le rapport entre musique et "compétition". Il est parfois bon de se mesurer à d'autres au cours de l'apprentissage musical, mais j'ai besoin que la musique échappe à des rapports de force. J'ai quasiment terminé le conservatoire en piano classique, car j'ai eu la chance de rencontrer, lorsque j'avais 11 ans, un professeur et concertiste, André Millecam, qui m'a appris à rêver avec la musique, à m'envoler, qui m'a fait découvrir ce qu'il y avait entre les notes, entre les sons, la poésie de chaque phrase, qui m'a aidé à développer mon imaginaire. Et je ne lui en serait jamais assez reconnaissant. J'ai arrêté deux mois avant de passer mon prix, car il est décédé brutalement, et n'ai pas eu la force et l'envie de continuer cette aventure sans lui.
LF : Depuis plus d'une dizaine d'années, on peut constater que le jazz s'institutionnalise, se "marketise", voire s'industrialise à tous les niveaux (enseignement, diffusion, politique...) Quels en sont pour toi les bienfaits et les méfaits?
OB : Je pense que la musique n'a jamais à gagner à une marketisation. J'ai l'impression que cette marketisation a toujours existé, même si il est vrai qu'elle s'intensifie de plus en plus, souvent laissant de coté des projets extraordinaires pour en porter certains beaucoup plus discutables… pour rester poli. Mais j'ai aussi la forte impression que cette crise que l'on traverse, financière et existentielle, amène de plus en plus d'artistes, musiciens ou autres, à développer quelque chose de plus en plus personnel. Et j'ai l'intime conviction, je le ressens fortement, que l'on vit, en parallèle à cette crise, une période artistique d'une extrême richesse et densité, un moment unique.
Merci et rendez-vous le Dimanche 7avril à 16h30.
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