LF : Beaucoup de saxophonistes dans l'histoire du jazz ont choisi la formule du trio pour ne pas être enfermé lors de leurs improvisations dans un système harmonique joué par un piano, une guitare ou tout autre instrument harmonique. Or, dans ta musique, il me semble entendre beaucoup de contraintes d'ordre rythmique. Est-ce le fait de ton écriture, ou uniquement un travail commun au travers de vos improvisations collectives?
SC : Effectivement il n’y a pas d’instrument harmonique dans le trio mais ce n’est pas pour des questions de limitation, d’enfermement ou … de liberté. De l’harmonie jouée dans notre musique, il y en a ! Et parfois même plusieurs couches harmoniques se superposent. Le pari est donc de la faire entendre avec uniquement les voix de la contrebasse et du saxophone. Cela implique de trouver des solutions dans le son de chaque morceau.
On aime bien jouer avec les rythmes et les superpositions de rythmes dans cet orchestre et, c’est vrai, les morceaux que j’apporte proposent assez naturellement cette direction. On a donc développé ce son d’orchestre à partir des compositions bien sûr, mais aussi et surtout par une prise en charge collective des orchestrations soit en répétition, soit directement en concert. L’un ouvre une voie ; ça se confronte ou est repris.
Il y a aussi un jeu live au « service de ». Depuis quelques années, l’orchestre respire ensemble. Cela devient facile de rebondir collectivement dans la musique et on s’amuse bien.
LF : Quels sont les liens musicaux (et peut-être plus) que tu désires garder avec le jazz américain du siècle dernier ? Et d'autre part, quelle place pour un jazz contemporain, d'ici et de maintenant ?
SC : La tradition est la base de cette musique. C’est un socle fort, nos racines. De nous trois, je pense que c’est Christophe qui en est le plus imprégné. Je l’entends très fort dans son jeu et dans son positionnement musical ; je viens de là également... j’ai arpenté d’autres chemins aussi… et, aujourd’hui j’aimerais trouver les moyens de boucler la boucle, comme Christophe a su le faire il y a longtemps.
De cette tradition, on a conservé énormément de choses dans la musique du trio, dont notamment les relations écrit-improvisé, fonction instrumentale, liberté et contraintes, spiritualité et interplay. Avec le nouveau répertoire, j’essaie de faire bouger un peu le curseur sur les questions de forme, directivité et fonction instrumental.
Quant à la place du jazz contemporain, elle est celle qu’on lui donne. Toi qui poses les questions, moi qui y réponds, vous qui lisez ces lignes, vous qui serez dans la salle le 19 mai prochain… Celle que nous tous lui donnons.
LF : Lorsque les journalistes parlent de ta musique, ils font souvent référence à Steve Coleman. Que représente pour toi ce musicien ? L’as-tu déjà rencontré et qu’a t-il apporté, selon toi, à ce courant du jazz ?
SC : C’est vrai qu’il y a cette référence et influence que j’ai cité il y a 15 ans et qui depuis revient assez systématiquement. En même temps, il peut être considéré comme un modèle par bien des aspects et je suis le chemin qu’il a ouvert et démocratisé par son travail sur le rythme et l’harmonie. Nos approches diffèrent de par les mélanges d’influences de nos musiques respectives.
Je trouve que Steve Coleman est un musicien qui se préoccupe toujours de musique – que ce soit sur scène, dans ses choix de production ou de diffusion ; ce qui est central, c’est la musique. Il ne fera pas de concession. Depuis 30 ans (voire plus), il propose un son différent, élaboré sur des éléments nouveaux et intégré dans l’improvisation. Il fait école.
LF : Tu es venu plusieurs fois jouer pour la Fabrica'son, notamment avec le quartet Print, et on a toujours plaisir à entendre dans ton jeu de saxophone un mélange de volutes complexes, entremêlées, et une forme de groove puissant, toujours un peu décalé, comme en embuscade.
Te retrouves-tu dans cette perception de ta musique ou définirais-tu autrement ton jeu ?
SC : Je ne sais pas répondre à cette question.
Il y a des perceptions différentes pour chacun et ce que j’essaie de développer est somme toute assez ‘classique’. A savoir tisser des relations étroites entre l’écrit et l’improvisé, chercher l’interplay comme moteur de l’improvisation, développer ce qu’il faut en terme de technique, justesse, extension de registre ou timbre afin de correspondre aux différents contextes de jeu ; bref chercher une forme de liberté pour pouvoir développer une improvisation pertinente en fonction d’un écrit spécifique. Ne serais ce pas ce que propose déjà la tradition ?
LF : Tu sembles être très actif pour promouvoir tes projets. Comment t'y prends-tu pour concilier le temps pour travailler la musique et faire connaître celle-ci?
SC : Je travaille beaucoup et j’essaie d’organiser.
Sinon, c’est trouver des solutions pour être en forme sur l’instrument tout en poursuivant ce qu’il faut pour le développement des projets. Les solutions doivent être réinventées à chaque contexte.
LF : Ce projet du trio part en tournée avec pas mal de dates. Dans l’avenir, est-ce que vous prévoyez d'inviter d’autres musiciens ? Si oui, quel en serait le but ?
SC : C’est une question que l’on s’est posé collectivement. Comme on avait besoin de développer notre façon de jouer ensemble, les invitations n’ont été que très ponctuelles. Cependant, on a fonctionné les premières années en co-plateau et donc en invitant un groupe lors de chacun de nos concerts.
Pour construire une collaboration, l’envie musicale est la base ; mais il faut savoir ce que l’on est susceptible d’offrir en terme de diffusion. L’heure n’est pas encore venue pour des invitations sur le Trio.
LF : Que devient ton autre projet "Print" avec le saxophoniste Stéphane Payen, le batteur Franck Vaillant et Jean-Philippe Morel à la contrebasse ? Existe-t-il toujours ?
SC : Il continue !
Même s’il y a eu un peu moins de concerts depuis 3 ans, le groupe continue à se diffuser, d’évoluer. Les débuts remontent maintenant à plus de quinze ans. Il y a une histoire avec ce groupe, on commence à faire partie du paysage. Certains étudiants proposent même nos morceaux aux examens. Les organisateurs en réseaux nous ont globalement boudés pour des raisons qu'eux seuls connaissent, mais, nous avons malgré tout joué des centaines de concerts dans une douzaine de pays. On a gravé aussi cinq disques.
D’autre part, sur la base de ce quartet, j’ai monté en 2008 un octet qui a fait son concert de création à Radio France et qui a enregistré un disque qui a été nommé parmi les 15 ‘meilleurs’ disques de l’année 2009 par Jazz Magazine. Ce groupe reprend de l’activité à l’occasion d’une création en mai 2014 à la Cave Dîmière (Argenteuil).
LF : Par temps de crise(s), le jazz est-il pour toi un média de combat contre… ou pour… ?(On te laisse compléter!)
SC : La musique est un acte politique. Faire du jazz de création (j’ai horreur de ce vocabulaire !) ressemble actuellement à un sacerdoce. Cependant, je ne vois pas, à titre personnel, d’autres raisons à porter un ou plusieurs groupes.
Mon souhait et mon engagement ont toujours été de proposer des concerts dans la ville de résidence ; là, on est dans la place et la fonction de l’artiste, du musicien dans la société. Mais aujourd’hui, la diffusion du jazz à Paris est proche d’une situation critique tant en ce qui concerne les salles de diffusion que pour les conditions de production. Paris n’est plus un passage obligé pour les artistes en tournée européenne ; les concerts qui y sont organisés correspondent très souvent à des jours off… Je participe depuis une dizaine d’années à des réflexions sur le sujet avec différents acteurs institutionnels, privés ou associatifs ; et, pour une évolution déterminante, il y a maintenant une volonté politique qui doit prendre le relais.
Ce qui doit également être mentionné, c’est qu’il existe un public pour cette musique, dans toutes les catégories générationnelles. Certains organisateurs en province réussissent à fédérer un large public curieux, attentif et enthousiasme.
LF : Ce trio est étonnant dans son jeu collectif, on a l'impression qu'il n'y a pas de soliste, ou bien alors trois solistes jouant ensemble. Ce trio a-t-il été pensé de cette manière ?
SC : Absolument !
La volonté première est de développer un jeu et un son collectif. Tout le reste est pensé en fonction de cette idée.
Paradoxalement, cela implique également d’affirmer une position très forte de soliste ou de chef d’orchestre, fonction qui sera partagée à 3 ou bien assumée temporairement par l’un de nous. Une certaine forme de virtuosité instrumentale, loin des effets de style, est également nécessaire. Avec la création du répertoire ‘Flow & Cycle’ en décembre dernier et la parution du disque en avril, je pense que le groupe a franchi une nouvelle étape dans la réalisation de cette idée.
LF : Quel est votre secret pour arriver à faire une musique complexe, sophistiquée et en même temps légère et aérée ?
SC : Hé hé, je ne crois pas qu’il y a de secret.
J’ai proposé au groupe d’écluser un répertoire avec la méthode de Miles dans son premier quintet. Peu de morceaux, beaucoup de concerts ; on se retrousse les manches, on creuse, on essaie, on se trompe, on propose, on trouve des solutions, on réfléchit ensemble ou séparément, on grandit. Quand j’ai proposé à Sarah et Christophe cette aventure, j’avais réfléchi à beaucoup de choses. La musique et ses ingrédients, les relations basse-batterie qu’ils pouvaient adopter naturellement, celles qu’ils pouvaient développer, les possibilités de diffusion, mes envies musicales, nos backgrounds respectifs…
La réussite n’est due qu’à leur investissement sans faille depuis 2005 !
Merci et rendez-vous le Dimanche 19 mai à 16h30.
best Running shoes brand | Nike Go FlyEase Black - CW5883-002La Fabrica'son, Maison de la Vie Associative, 28 rue Victor Hugo, 92240 MALAKOFF, Tél. 01.55.48.06.36, email : coordination.fabricason@gmail.com