LF : Sébastien, l’année dernière tu as animé à plusieurs reprises une jam dans un club de jazz parisien en proposant au préalable aux musiciens un répertoire basé uniquement sur la musique de Radiohead: comment cela a-t-il été accueilli par les participants de la jam ?
SP : Oui en effet, c'était une première, avec l'aide du site français radiohead.fr et de Jean-Luc Durban, l'ancien directeur artistique de la Péniche L'Improviste, on a démarré en étant dans l'inconnu, heureusement les journalistes de Jazz Magazine et de Jazznews notamment en ont parlé, et au bout de la 3ème soirée, cela a commencé à devenir intéressant.
Il y avait des musiciens qui venaient un peu par hasard, croyant à une jam habituelle (organisée une fois par mois) et qui finalement jouaient le jeu. Je m'étais donné du mal à arranger moi-même de manière claire et pratique les musiques de Radiohead avec des jeux de partitions transposées pour tous les instruments. Les musiciens qui ne connaissaient pas Radiohead ont eu quelques difficultés et cela a pu ressembler de temps en temps à un workshop, mais parfois de très bons musiciens débarquaient en connaissant sur le bout des doigts Radiohead, cela m'a beaucoup excité d'organiser ça, lors de l'avant-dernière jam, c'était plein et je n'avais plus rien à faire, des groupes de jeunes jazzmen déjà constitués venaient jouer leur propres arrangements, quel pied cela a été d'en être le témoin et de me dire qu'il était possible avec des jazzmen de jouer la musique de Radiohead comme on le fait avec des standards, d'une manière naturelle! C'est une question de temps et de génération.
La jam s'est arrêtée à la fin de la saison car le lieu changeait de direction et cela ne semblait pas intéresser la nouvelle équipe, c'est bien dommage, tout ce travail pour rien ! Enfin presque, je sais maintenant que c'est possible. Faute de temps et d'énergie, je n'ai pas cherché un nouveau lieu pour accueillir cette jam inhabituelle, j'espère que quelqu'un reprendra le flambeau un jour…
LF : Je pense que cette musique te permet de rencontrer très certainement un nouveau public mais selon toi, apporte-t-elle aussi une ouverture sur le jazz à ce même auditoire ?
SP : OUI ! Véritablement, je ne pensais pas à ce point, on a fait quelques belles salles et festivals ces dernières années avec ce projet. Une partie du public vient pour le répertoire de Radiohead, mais j'ai souvent des témoignages de personnes me disant que cela leur a donné envie d'écouter du jazz.
On parle souvent de sortir le jazz des musiques actuelles comme on l'a fait il y a quelques années avec la musique contemporaine et la musique dite "classique". Je pense que cela serait une erreur, le jazz à sa place dans les SMAC [Scènes de Musiques Actuelles] aux côtés de la chansons, du rock et des musiques électro, il inspire et se nourrit des autres musiques, je veux continuer à jouer du jazz dans des salles où ça sent la sueur et la bière ! Elle doit rester populaire, au contact des jeunes générations si l'on veut que cette musique soit encore une musique vivante…
LF : Tu as fait le choix de prendre comme instrument à vent un saxophoniste soprano, est-ce pour des raisons de tessiture ou simplement un choix de musicien ?
SP : C'est un choix esthétique et aussi pratique, je voulais au départ que le groupe ait une cohésion sonore, que l'on identifie facilement la mélodie incarnée le plus souvent par Thom Yorke. Sur le 2ème album, les effets électronique produits par Fabrice Theuillon ont d'avantage brouillé les pistes, le groupe évolue et c'est tant mieux.
Antoine Paganotti, Fabrice Theuillon et Joachim Govin me font entièrement confiance dans la conception des arrangements et leurs talents de musiciens font le reste.
LF : As tu déjà rencontré quelques membres de Radiohead ?
SP : Oui j'ai eu la chance d'être invité à leur dernier concert à Bercy en 2012, et ensuite à l'after show, ils ont l'air très accessibles, j'ai même pu donner le disque de l'Amnesiac Quartet en mains propres à Thom Yorke, ils sont un peu en dehors du starsystem, malgré l'immense engouement qu'ils suscitent …
LF : L'influence de Radiohead sur les musiciens actuels, y compris dans le jazz, est considérable. Comment vois-tu ces allers-retours entre jazz et pop, pop et électro, et quelle nourriture spécifique t'apporte ce groupe dans ta démarche de musicien?
SP : Ils ont marqué et influencé beaucoup de musiciens car ils ont toujours privilégié une intégrité artistique, prenant un virage pas toujours compris par leur public dès le 4ème album malgré les enjeux inhérents à l'industrie du disque, c'est assez rare pour être signalé.
Cette fascination qu'exerce Radiohead sur de nombreux musiciens vient du fait que leur musique semble toucher un inconscient collectif, à la croisé de genres majeurs et populaires du XXème siècle, le rock, la pop, le jazz, la musique répétitive et contemporaine, les musiques électroniques, une sorte de chainon manquant qu'incarnerait selon moi Radiohead.
Ce que m'a apporté cette relecture de leur répertoire, c'est avant tout de me situer et de m'exprimer bien dans mon époque, de la vivre entièrement. Quand on a comme moi admiré des jazzmen qui on fait l'histoire du jazz dans les années 60, c'est parfois compliqué de vivre dans le post-modernisme, ce groupe actuel qui vient d'un horizon différent du mien m'a permis une fois encore de faire le lien entre l'histoire de la musique avec un grand H et ma petite histoire de musicien.
Cela a finalement donné un sens à ce que je fais depuis des années dans la musique et cela continue de m'inspirer, également dans ma musique. Je viens de composer une pièce pour saxophone et piano dite "classique" car écrite entièrement pour le saxophoniste Nicolas Prost, inspirée par la musique de Radiohead, cette pièce sera bientôt éditée chez Billaudot. Radiohead mène donc à tout, même au festival classique de Liceu à Barcelone où la pièce a été créée!
Par contre je reste avant tout un musicien de jazz improvisateur, et ce matériel expressif qu'est l'improvisation a besoin d'être constamment renouvelé et je dois dire que les grands maîtres du jazz restent une source inépuisable d'inspiration pour pouvoir étendre mon vocabulaire et me donner une liberté quand j'improvise...
LF : Comment abordes-tu la musique de Radiohead pour en faire un projet jazz ? Y a-t-il beaucoup d'improvisation dans la musique originale de Radiohead et est-elle pensée comme dans le jazz ?
SP : Comme dans tous les groupes de Rock non "progessifs", l'improvisation est absente, mais on peut trouver des différences entre le studio et la scène.
Quand j'entreprends d'arranger un thème de Radiohead, c'est justement ce qui motive mon choix, c'est-à-dire qu'il y ait une opportunité très favorable à l'improvisation, quand ce n'est pas le cas, comme sur le morceau "The Tourist", j'ai ajouté une grille d'impro afin de pouvoir développer suffisamment la musique et que tous les musiciens puissent se l'approprier.
Je pense que la musique de Radiohead n'est pas vraiment pensée comme dans le jazz, mais depuis quelques années, beaucoup de groupes s'inspirent des climats et structures des groupes de pop-rock, comme le groupe de Brian Blade And The Fellowship qui s'inspire pas mal du groupe islandais Sigúr Ros, ou bien Brad Mehldau qui reprend régulièrement Radiohead ou Nick Drake pour leurs mélodies ou leurs structures un peu complexes et proches du jazz comme "The Riverman" de Drake, en 5 temps, ou "Everything In Its Right Place", de Radiohead, en 10 temps.
Mais finalement, reprendre des thèmes populaires dans le jazz fait partie intégrante de cette musique et de la tradition, qu'est-ce que sont les "standards" de jazz sinon des reprises de chansons populaires des comédies musicales de Broadway !
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