LF : Le dernier album en date du quartet est « Roundtrip », sorti en 2009, le morceau « le miroir des anges déguisés » est un fabuleux titre à tiroir qui donnait à voir toutes les facettes de ta sensibilité et de ton jeu expressif. Depuis 2009, comment ta musique, ton jeu, ton écriture ont-ils évolué?
AT : J’ai enregistré “Roundtrip” à New York avec mon quartet new yorkais de l’époque qui incluait le pianiste Israélien Roy Assaf, le batteur américain Steve Davis et le bassiste français François Moutin. Sur le disque apparaissent en invités le guitariste américain Akira Ishiguro et le guitariste français Edouard Brenneisen. J’ai enregistré toutes les pistes de saxophones mais en concert nous avions le saxophoniste Ron Blake.
Ce disque était vraiment la continuité du précédent album “Stop Requested”, enregistré à Boston lorsque j’étudiais au Berklee College Of Music. La formation était similaire avec George Garzone au ténor et soprano et Akira Ishiguro était déjà présent. Ces deux albums présentent mes compositions et des arrangements de standards.
Les compositions sont souvent complexes, avec des formes longues et non traditionnelles. Le morceau “Le miroir des anges déguisés” en est un parfait exemple. On peut y reconnaître diverses influences telles que David Binney, Brian Blade, Wayne Shorter, Joe Lovano, Schoenberg. J’aime utiliser et mélanger plusieurs techniques de composition notamment les principes de musiques sérielles que je transforme très librement.
Je revendique le côté intellectuel de mes compositions car il n’est jamais gratuit mais au contraire il sert toujours à traduire des émotions. Mes mélodies, même complexes, sont toujours chantantes et assez facilement mémorisables par les auditeurs. Je n’écris jamais quelque chose que je ne peux pas chanter, mais je dois aussi trouver dans mes compositions une stimulation intellectuelle.
Mes principes d’écriture et de jeu restent les mêmes, mais une évolution commune à ces deux disciplines est que je tends à simplifier les choses. Mon dernier album avec le pianiste Kenny Barron illustre bien cette évolution. Les compositions sont basées sur les mêmes principes et idées, mais dans un format plus proche des standards. J’aime beaucoup cacher des standards dans mes compositions, comme des histoires parallèles, des codes à trouver. “Prelude” est basé sur une pièce de Bach, vous pouvez jouer “All The Things You Are” sur ma composition “The 5 O’Clock Shadow”, “Alligator Blues” est basé sur une série dodécaphonique et sur “Gingerbread Boy”, “Departure” vient d’une re-harmonisation de “My shining hour”. Dans presque la totalité des mes compositions vous pouvez trouver des éléments plus ou moins cachés qui viennent de standards ou de compositeurs classiques.
Au niveau de mon jeu j’essaye de simplifier aussi, jouer moins de notes mais avec plus d’émotions, ce qui est la recherche perpétuelle de tous les musiciens je crois. Parfois j’essaye de jouer une seule note et de lui donner différentes émotions. Je suis de moins en moins attiré par les effusions de notes et les effets en tout genre. Je trouve de plus en plus de beauté dans la simplicité. Mais faire quelque chose de beau et simple est difficile et courageux car on ne peut pas cacher les imperfections ou les erreurs derrière des artifices.
Je suis aussi beaucoup influencé par d’autres musiciens dont j’admire le travail: le saxophoniste Uri Gurvich, le compositeur Juan Ospina, le pianiste Josh Nelson, le batteur Martin Vejarano, le saxophoniste John Ellis, pour n’en citer que quelques uns.
LF : Médaille d'or à l'ENM d'Evry, tu n'es pas passé par la classe de jazz du CNSM, il semblerait que tu aies préféré le Berklee college of Boston. Concours de circonstances ou choix déterminé ?
AT : J’ai toujours voulu vivre l’expérience de New York. Il me semblait évident qu’un passage “initiatique” à New York était de rigueur. Je voulais aller à la source, connaître et comprendre la vie aux USA, la vie de musicien à New York, là où vivaient et vivent mes héros. Si j’avais été passionné de calligraphie chinoise je serais parti en Chine. Berklee était pour moi la porte d’entrée pour les USA, obtenir un visa d’étudiant et faire des contacts avec d’autres étudiants.
Voici une anecdote: en 2003 mon dossier avait été accepté au Berklee College, mais j’ai participé quand même au concours d’entrée au CNSM. Je n’ai pas été accepté et une ou deux semaines plus tard je suis allé à l’audition pour la bourse Lavoisier afin de financer mes études à Berklee. Lorsque j’ai vu qu’un membre du jury était un des profs du CNSM et donc membre du jury lors de mon audition au Conservatoire, je me suis dit que j’allais en toute logique être refusé de nouveau. Or ce professeur est venu me voir après l’audition pour m’encourager à étudier au CNSM et me demander pourquoi je ne voulais pas venir!
Si j’avais été accepté au CNSM je serais de toute façon parti pour Boston, et peut-être que les professeurs ont senti que je n’étais pas plus motivé que ça pour entrer au Conservatoire. Etudier à Berklee a été une formidable expérience à tous niveaux. D’abord être confronté à un style de vie et une culture différentes ne peut être qu’enrichissant. Le corps étudiant de Berklee est très international donc j’y ai rencontré des amis des quatre coins du monde. La manière d’enseigner y est très différente qu’en France. Il y a toujours le revers de la médaille, tout n’y est pas parfait, et je peux comprendre que le système américain ne corresponde pas à tout le monde. Tout comme l’éducation en France a ses avantages mais aussi ses limites et ses frustrations.
Etudier avec Joe Lovano, George Garzone, Hal Crook, Ed Tomassi, pour ne citer que les plus connus, m’a ouvert les oreilles mais surtout l’esprit. Certains professeurs ont une connection directe avec des figures légendaires du passé et sont eux-mêmes des musiciens emblématiques aujourd’hui. Etre en contact avec ces musiciens apporte une dimension particulière et unique. C’est un lien avec la tradition qu’il est très difficile de trouver ailleurs. J’ai pu étudier avec des musiciens qui ont travaillé avec Woody Herman, Buddy Rich, Art Blakey, Thad Jones etc… Ce sont des noms qui m’ont fait rêver lorsque j’étais enfant, aujourd’hui encore, j’ai donc l’impression de m’être rapproché de ces rêves. J’essaye toujours de garder en mémoire les rêves et aspirations que j’avais en commençant la musique.
LF : Dans tes projets, tu n'as aucun problème pour mélanger les styles de musique (compositions post-modernes, standard, hard bop, afro-cubain, groove dansant...). Est-ce propre à la vision des musiciens américains?
AT : Aujourd’hui il est plutôt commun d’avoir les connaissances et les moyens de mélanger de multiples influences. Je ne sais pas si c’est plus caractéristique des musiciens américains. Par contre, ce qui est certain, c’est que vivre à New York m’a exposé à de multiples cultures. Je travaille avec des musiciens d’Amérique Latine, d’Asie, d’Europe, d’Afrique. Je suis allé à Cuba jouer avec Roberto Fonseca, je joue avec des Cubains sur NYC ou Miami, je fais de la musique traditionnelle colombienne, il peut m’arriver de travailler avec des groupes de R&B etc… C’est cet éclectisme, cette ouverture, ce mélange de cultures et d’horizons qui font de New York une ville riche et intéressante. Ce sont toutes ces personnes avec une histoire différente que je rencontre à NYC qui participent à mon évolution musicale.
LF : Comment fais-tu pour être sur deux continents à la fois, et quelles différences vois-tu dans la manière qu'ont les musiciens avec qui tu travailles d'aborder ta musique en France et aux Etats-Unis?
AT : Je suis effectivement entre l’Europe et les USA. Aujourd’hui je me sens plus chez moi à New York, je ne sais pas si ca changera dans le futur, on verra. J’ai mon propre label Barking Cat Records sur lequel je produis moi-même mes albums. J’ai maintenant beaucoup de travail et j’espère pouvoir trouver un ou des associés car il m’est difficile de développer et gérer toutes mes activités seul.
Je reviens plusieurs fois par an en France, j’aime venir et jouer ici, j’aimerais me produire plus mais étonnamment c’est ici qu’il m’est le plus difficile d’organiser des concerts.
Je joue souvent avec Pierre de Bethmann, Manu Codjia, Louis Moutin et Mauro Gargano. J’aime aussi travailler avec Leila Olivesi, Donald Kontomanou, Franck Amsallem, Jean-Pascal Molina, Leo Montana, Olivier Temime, Felipe Cabrera, Lukmil Perez et beaucoup d’autres. Où que j’aille, j’essaye de travailler avec des musiciens qui partagent avec moi une certaine éthique aussi bien musicale, professionnelle et personnelle. Donc la plupart du temps, les musiciens avec qui je choisis de travailler auront une manière similaire d’aborder la musique. Avec beaucoup de travail, de sérieux, d'engagement, de sincérité, d'humilité.
A New York, il faut être super pro, rapide et efficace. Tout le monde à un moment ou à un autre est dans la position de leader et de sideman et comprend la différence entre chacun de ces rôles. Surtout il y a une connaissance et un respect de la tradition qui parfois peut être un peu survolée en Europe.
Ce qui m’intéresse, c’est la personnalité des musiciens et les différentes sensibilités qu’ils apportent à ma musique. Il m’est arrivé de devoir travailler avec des musiciens très connus et parfois même talentueux… mais qui sur le plan humain ont été très décevants. J’évite tant que faire se peut ces expériences.
LF : Tu es un « gars du coin », tu as suivi des cours d’atelier Jazz avec le pianiste Michel Barbe au début de ta formation en Île-de-France, une de tes activités est d’enseigner par le biais d’internet, je crois qu’elle a du succès, tu as des élèves dans le monde entier. Peux-tu nous parler de cette expérience d'enseignement à distance?
AT : J’ai commencé au conservatoire d’Etrechy avec le saxophoniste Patrice Quentin et le pianiste Michel Barbe. J’ai aussi étudié avec Sylvain Beuf, puis à l’ENM d’Evry avant de partir à Berklee. J’ai donc un bagage académique assez solide. J’ai accumulé beaucoup de connaissances et de matériel pédagogique.
J’ai une vraie envie de partager mes connaissances et d’aider quiconque est motivé pour apprendre et je pense que mes élèves le sentent bien. Je voyage beaucoup donc ce n’est pas toujours facile de donner des cours. J’enseigne à des particuliers chez moi ou par Skype et je donne aussi des classes lorsque je suis en tournée.
L’idée de créer le site www.jazzvideolessons.net m’est venue l’année dernière. Je fais entre 2 et 4 vidéos par mois, parfois plus. Aujourd’hui il y a plus de 90 leçons disponibles. Mon but est de partager l’éducation que j’ai eu au fil de toutes ces années et aussi de partager mes propres idées et concepts. J’ai fait des vidéos sur la technique du saxophone, sur des techniques d’improvisation, sur la théorie, l’arrangement etc… Je fais aussi des vidéos lorsque je suis en tournée, lorsque je travaille mon instrument, lorsque je compose.
C’est vraiment incroyable de pouvoir partager toutes ces infos avec des élèves du monde entier. J’ai des élèves de tout niveau et de tout âge et dans une trentaine de pays. Ils peuvent poser des questions sur le site, partager leurs informations, m’envoyer des vidéos. Je suis vraiment en contact avec chacun de mes élèves et le site est assez interactif. De plus toutes ces informations disponibles sur le site permettent à mes élèves d’être mieux préparés pour leur cours particulier avec moi ou avec d’autres profs.
LF : Tu as enregistré avec deux grands personnages de l’histoire du Jazz, Kenny Baron et George Garzone. Peux-tu nous raconter ces deux rencontres ?
AT : J’ai rencontré George Garzone au Berklee College et j’ai étudié avec lui pendant 2 ans. Son approche et ses concepts m’ont énormément influencé. Il m’a vraiment ouvert l’esprit sur des horizons musicaux que je ne pouvais même pas entrevoir. Mes années à Berklee étaient très intenses. Je travaillais constamment, faisais des sessions tous les jours, j’y ai aussi beaucoup composé. Je voulais vraiment enregistrer mon premier album lors de mes études à Berklee pour documenter ces années. Il était logique que George Garzone apparaisse sur l’album. Il a même participé au répertoire, nous avons enregistré sa composition “There's Snow Place Like Home” qu’il avait auparavant enregistré avec Joe Lovano. Entouré de mes amis et de mon mentor, ma première session d’enregistrement a été une superbe expérience.
J’ai connu Kenny Barron par l’intermédiaire du batteur Tommy Campbell que j’avais rencontré lors d’un concert avec le Mingus Big Band. Tommy a joué entre autres avec Dizzy Gillespie, Sonny Rollins, Aretha Franklin etc… Lorsque j’ai commencé à parler de mon projet d’album à Tommy nous avons discuté des musiciens que j’aimerais inviter. Sans savoir qu’il le connaissait, je lui ai dit que je rêvais de jouer avec Kenny Barron. Il m’a répondu “Great idea, here is his phone number, call him!” J’ai donc appelé Kenny, je suis allé le voir chez lui, il habite à 3 stations de métro de mon appartement à Brooklyn, nous avons discuté, il a écouté mes précédents albums et il m’a dit “OK let’s do it”. J’ai ensuite appelé mon ami contrebassiste Peter Slavov que vous avez pu entendre aux cotés de Joe Lovano.
Cet album a été assez difficile à réaliser. Il m’a fallu jongler avec les agendas surchargés de tournées de quatre musiciens pour fixer la date d’enregistrement. Initialement prévue en Mars 2014, il a fallu repousser pour finalement aller en studio en juin.
J’ai pu répéter avec Tommy et Peter plusieurs fois chez moi, et j’ai fait une répétition en duo chez Kenny. Puis nous nous sommes retrouvés en studio.
Tommy est tombé malade le deuxième jour d’enregistrement et j’ai dû trouver un batteur à la dernière minute. J’ai donc appelé tous les batteurs que j’avais dans mon répertoire. Mon ami Rodrigo Recabarren, originaire du Chili, est venu et tout s’est finalement bien passé. Le répertoire comprend des compositions originales, des standards et une composition de Kenny Barron.
J’avais prévu de travailler sur le mixage de l’album durant l’été en France. Malheureusement je me suis fait volé mon ordinateur et mon disque dur à mon arrivée sur Paris. Du coup je n’ai rien pu faire et j’ai attendu de rentrer sur New York pour pouvoir mixer et masteriser en septembre.
La musique de Kenny Barron reflète tout à fait sa personnalité. C’est quelqu’un de très sympathique, agréable, humble, généreux, sincère. Quelques jours avant l’enregistrement j’ai commencé à vraiment stresser en réalisant que j’allais être en studio avec Kenny Barron! Mais finalement, malgré le stress inhérent au fait d’enregistrer en studio et le problème de batteur, c’était très agréable de travailler avec Kenny. Il m’a vraiment encouragé et mis à l’aise. C’était une superbe expérience et j’espère que je pourrai jouer en concert avec lui.
Je rêvais de venir à New York et de faire partie de la communauté des musiciens de Jazz. Malgré toutes les difficultés que cela implique, c’est un formidable sentiment d’accomplissement. J’ai encore plein de projets que j’espère pouvoir réaliser entre les USA et l’Europe.
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