"Ensuite, en situation de jeu, vient ce qui vient, seul compte le moment présent."
Comment présenteriez-vous votre musique à un public non initié?
G.O : Bonjour cher public! Notre musique… disons qu'elle est très situationniste et se fait sur le moment. Vous pouvez vous attendre à un moment d'écoute sensible entre deux musiciens et un rapport d'intimité.
C.B: Il s'agit d'un dialogue à 2 instruments, l'un très commun (la voix), l'autre plus sophistiqué (le saxophone soprano). Et pourtant leurs timbres se mêlent, se répondent ou se confondent. Le tout emmène le spectateur dans un voyage sonore à travers une grande variété de situations musicales.
A l’écoute de votre duo, il me semble assister à une conversation. En avez-vous préparé le sujet?
G.O : Une conversation, oui, en D.U.O. : “Dialogue d'Utopie Originelle”... Nous préparons des morceaux, des passages 'prévus' et d'autres complètement libres. Et, nous portons une attention particulière à l'espace, quel qu'il soit. Nous passons par différents types d'agencement acoustiques en fonction du lieu. On joue avec l'éloignement, la proximité, le mouvement, la résonnance, le presque rien, la saturation, l'unisson, la vibration, etc...
C.B : Cela reste très mobile et surtout nous cherchons à nous adapter à chaque lieu, chaque situation acoustique, chaque rapport au public. Nous avons des morceaux écrits par Guillaume pour ce D.U.O., parfois d'autres lignes mélodiques ressurgissent, nous avons des impros avec des structures ou des modes de relation préétablies, des explorations sonores vers lesquelles nous aimons revenir et creuser les sujets et puis des moments totalement free.
Guillaume tu es un adepte, entre autre, de l’improvisation libre : comment appréhendes-tu cette situation, comment orientes-tu ton travail dans cette optique?
G.O : Je dirais que le fait d'improviser 'librement' précède tout acte musical plus 'balisé' et que la qualité d'une prise de parole libre de contrainte doit rester intacte même dans le contexte de l'interprétation d'une écriture. C'est simple mais pas si facile que ça à mettre en œuvre. En fait, sur l'instrument je pratique des choses que j'aimerais pouvoir faire mais que je n'atteins pas encore... Je me mets des contraintes de langage musical auto-définies en fonction de là où j'en suis. Rien d'extraordinaire en soi. C'est une préparation permanente. Ensuite, en situation de jeu, vient ce qui vient, seul compte le moment présent.
Christine, tu as donné cet été un stage en Bourgogne sur l’improvisation vocale et plus exactement, sur « comment faire sonner les espaces intérieurs et extérieurs », en utilisant des préparations corporelles issues de la méthode Feldenkrais. Peux-tu nous parler de cette méthode et comment tu l’utilises pour le chant ?
CB : Pour ce 3e stage à Jazz Campus, je n'ai pas beaucoup intégré la méthode Feldenkrais, il s'agissait surtout d'une nourriture dans la mise en voix des stagiaires. Mon accent était plus sur le rapport voix-espace et comment nous nous mettons en relation corporellement avec les espaces extérieurs, comment différents espaces nous font sonner différemment, comment se nourrir d'explorations dans différentes situations acoustiques et spatiales pour re-nourrir nos explorations vocales dans d'autres espaces. Nous avons travaillé dehors, dans un grand prè, entouré d'arbres, dans une église, dans un dojo, dans un gymnase, etc. Et avons exploré comment nos imaginaires et nos langages étaient mis en mouvement par ces différents lieux.
Concernant la méthode Feldenkrais, je l'utilise à différents niveaux. Je la pratique pour moi-même depuis que j'ai 16 ans et j'en suis praticienne diplômée depuis 2000 (après 4 ans de formation). Aujourd'hui, je l'intègre à ma pratique et à mon enseignement sous différents aspects. J'enseigne principalement pour des chanteurs, musiciens et comédiens professionnels, mais je l'ai beaucoup enseigné à des danseurs pro et aussi à des publics amateurs. D'abord il s'agit une simple méthode de mise en disponibilité corporelle, une approche, parmi d'autres, préalable à toutes pratiques artistiques, il me semble. On me sollicite pour des stages pour des musiciens (improvisateurs mais aussi musiciens classiques ou traditionnels) sur la « posture » à l'instrument (en fait, je ne me préoccupe pas de la posture en tant que forme extérieure mais plutôt de la capacité de chacun à être mobile dans son organisation gestuelle). J'aime beaucoup entendre comment ça fait évoluer le son d'un musicien sans que je puisse lui donner aucun conseil « technique » car je ne suis pas capable de jouer de son instrument mais je sais lire ce qui entrave sa qualité de mouvement et l'aider à en prendre conscience. Pour le chant, la finesse de cette approche sensorielle permet d'avoir des sensations kinesthésiques très concrètes et fiables, de développer de meilleures coordinations respiratoires, d'acquérir de l'agilité technique avec plus de conscience et d'autonomie (on n'a pas besoin d'un prof extérieur qui nous dit si c'est bien ou mal, on fait plutôt confiance à ce que l'on ressent). Les séances sur la respiration ou celles que l'on peut faire en chantant sont très précieuses aussi pour comprendre et intégrer des notions d'anatomie de la voix. Ensuite, l'esprit de cette méthode est de prendre conscience de nos habitudes de fonctionnement et de les diversifier pour nous donner plus de choix. Donc là, on est au cœur de ce qui peut nourrir une démarche d'impro et un processus d'autonomie. C'est plus cet esprit explorateur et non-jugeant qui m'a fait choisir d'enseigner cette méthode plus qu'une autre.
Dans ce propos musical, vous êtes a fortiori dans la même tessiture. J’imagine que le jeu de l’imitation est tentant, voir la confusion entre vous deux. Est-ce que cela représente quelque chose d’excitant pour vous ?
G.O : Oh que oui ! Christine a une telle palette de timbres ! Entre l'imitation et le contraste on a toute une myriade de déclinaisons à explorer ! Elle me donne envie de chanter avec l'instrument... Et parfois, apparaît une troisième voix. Car 1 = 1 mais 2 tend vers 3 et +...
C.B : La confusion, oui bien sûr. C'est toujours très ludique de jouer à modeler sa voix pour rejoindre le timbre et le phrasé d'un instrument quel qu'il soit. Et avec le saxophone, c'est immédiat. Il y a de multiples possibilités de fondre les timbres, de les différencier ou de faire émerger des sons spécifiques comme dans nos recherches de différentiels. Et on aime étendre la tessiture de nos 2 instruments, ça c'est très excitant aussi.
On ne peut s’empêcher en vous voyant tous les deux de penser à Steve Lacy et sa femme. Si ma mémoire est bonne, Guillaume, tu as déjà rencontré Steve Lacy il y a bien longtemps déjà. Est-ce que cette rencontre humaine et musicale a été décisive pour toi?
G.O : Oui, Steve Lacy, j'ai ne l'ai rencontré qu'une seule fois vraiment en tête à tête et ça m'avait mis la tête à l'envers ! Mais comme à ce moment-là je réfutais tout rapport de maître à élève et que j'étais trop impressionné pour avoir une relation dialoguante avec lui, je suis resté dans la fascination. Steve Lacy a beaucoup fait pour Kartet dans lequel il voyait une belle alternative musicale dans le contexte du début des années 90. C'est grâce à lui que nous avons été invités au Canada ou qu'on est allé avec le groupe de Benoît Delbecq (Paintings) au Japon en 98. Nous avons donné un concert Kartet avec lui à Sons d'hiver. J'ai été fort impressionné d'entendre comment et ce qu'il pratiquait. Quel son !
Bien sûr, le son du tandem Irene Aebi - Steve Lacy a marqué les mémoires de notre temps. Mais mon rapport au saxophone soprano (que je n'ai repris qu'il y a trois ans après plus de quinze ans sans y avoir touché) n'est pas 'mimétique', j'essaie de laisser sonner l'instrument et d'observer comment les progrès opèrent. Pétrir la pâte sonore. C'est comme dans notre duo avec Christine où j'essaie plutôt de laisser émerger un son spécifique sans trop de référence extérieure.
Pour accéder à certaines notes parfois très aigues il y a il me semble, un travail à faire sur la colonne d’air, mais aussi sur l’ouverture de gorge. Est-ce le même travail pour le saxophone que pour la voix ? Et pouvez-vous nous donner très rapidement une petite leçon pour le chant et pour le saxophone ?
G.O La vocalité est évidente pour tous les instruments à souffle. Chaque registre de l'instrument, chaque harmonique réclame un placement spécifique depuis le larynx à l'embouchure, comme pour la voix. Il faut développer une flexibilité et prendre conscience des mouvements en jeu. Nos résonateurs intérieurs fonctionnent de la même façon que pour les chanteurs. On peut à la fois agir sur le son et laisser le corps faire son propre son.
C.B : Le même travail, plus ou moins... La colonne d'air, c'est une image, pas une réalité... L'air ne va que dans nos poumons, mais tout dépend de comment on les rend mobiles et de comment on gère les muscles inspirateurs et expirateurs, qui s'attachent sur notre colonne vertébrale. Il y a beaucoup de confusion autour du souffle et des résonateurs. L'ouverture respiratoire nécessaire à l'émission d'un son, chantée ou instrumental, est très proche mais pas identique du fait des différences de pressions, d'embouchures, etc... Le renforcement des résonateurs (gorge, bouche, rhino-pharynx, cavités nasales, etc...) est très variable selon le son recherché et les habitudes de chacun. C'est d'ailleurs, en partie, ce qui donne l'identité vocale d'une personne. Et cela me semble assez différent entre un instrument à vent et la voix car nous n'avons pas de résonateurs à l'extérieur de nous-même. Donc, c'est un long sujet...
Désolée mais je n'aime pas les simplifications qui mènent trop souvent à des raccourcis un peu réducteurs, parfois même contre-productifs....
Une question que je me pose depuis longtemps à ton sujet Guillaume : quelle filiation, quel rapport, quel lien entretiens-tu avec la musique de Bach ?
G.O : Johann Sebastian ? Karl Philipp Emmanuel ? Johann Christoph ? … Non, je blague... En fait je fais des allers-retours avec la musique J.S. Bach depuis mes années de conservatoire. Je n'ai jamais 'monté' de pièces de Bach comme si j'allais les jouer en concert, mais j'ai toujours déchiffré toutes sortes de pièces prévues, instrumentales, vocales ou orchestrales... Ça m'a permis de 'rentrer' dans tout un langage mélodico-harmonique. De la même façon que j'essaie de 'rentrer' dans le langage musical que me proposent mes collègues dans tel ou tel groupe, c'est-à-dire analyser et pratiquer les éléments de vocabulaire musical utilisé, pour ce qu'il sont, en vue d'être à même de les repenser en temps réel lorsqu'on improvise.
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