1) Peux-tu nous parler de ta rencontre avec les 2 musiciens de ton trio (Jonathan Blake, David Fettman) ?
En 1995, je suis parti à la fin de mes études universitaires, aux États Unis pour étudier le Jazz. J’avais eu l’occasion de jouer avec un saxophoniste alto qui s’appelait Craig Bailey, qui m’avait conseillé d’aller étudier au William Paterson College, qui était excellent et beaucoup moins cher que les écoles réputées de Manhattan comme la New School ou même la célèbre Berklee School de Boston que je ne pouvais vraiment pas me permettre. Je n’ai pas été déçu, les profs étaient souvent excellents et le contexte a été très propice au travail intense.John Riley enseignait là et j’accompagnais aussi souvent que possible les cours de batterie en traînant volontairement le mardi dans ce couloir jusqu’à ce qu’il ouvre la porte et demande un bassiste disponible. Il y avait trois excellents batteurs parmi ses élèves à ce moment: Paul Wells, qui le remplace régulièrement aujourd’hui avec le Vanguard orchestra, Ari Hoenig qu’on ne présente plus ici, et Johnathan qui était très jeune à l’époque mais avait déjà une belle réputation.Le directeur des programme était Rufus Reid qui n’enseignait qu’une masterclass par semestre pour les 10 contrebassistes. Quelques semaines après cette masterclass, Johnathan Blake m’a abordé pour me demander si je voulais bien remplacer Daryl Hall dans son groupe pour une date à Philadelphie, en me disant que je m’étais fait remarquer lors de la masterclass de Rufus Reid! Il m’a accueilli dans sa famille plusieurs jours et nous avons donné un concert au Painted Bride Theater avec Duane Eubanks, Eric Lewis et Jaleel Shaw. Je suis rentré en France en 1996 et nous ne nous sommes plus vus pendant une dizaine d’années. Johnathan a alors commencé à beaucoup venir jouer à Paris avec différents groupes dont Tom Harrell, et nous avons renoué. D’abord un contact amical car c’est vraiment un bon camarade, puis au gré des rencontres nous avons évoqué qu’il serait bien de rejouer ensemble un jour. L’occasion s’est présenté avec cet album. Pour David Fettmann, j’étais accompagnateur des concours de recrutement du Big Band de l’Armée de l’air que dirige Stan Laferrière, et j’ai été impressionné par le niveau des candidats au sax alto généralement , mais David était clairement le plus musicien ce jour là. Il m’avait bluffé par sa capacité à garder la virtuosité que permet à cet instrument d'être au service de la musique. J’avais pris son numéro ce jour là, et j’ai pensé à lui, même de nombreuses années après quand j’ai monté ce trio.
2) Est-ce si différent, comme on l'entend dire, de jouer avec des musiciens américains?
C’est une question à laquelle on ne peut pas se contenter de répondre par oui ou non. Et malheureusement, beaucoup se contentent de cela. À choisir, je serai quand même tenté de répondre non. Mais, comme j’ai ici l’occasion de préciser, je veux expliciter un peu. Les meilleurs musiciens européens ou asiatiques sont aussi «bons» que les meilleurs musiciens américains, et j’ajouterai que les plus mauvais de là-bas, n’ont rien à envier à ceux d’ici!Pour autant, il y a des différences dues à la culture, aux différents contextes économiques ou d’autres facteurs.Pour ne pas me lancer dans une sociologie de bazar, je m’en tiendrai à l’observation de deux divergences qui induisent des différences de comportements sans jugements de valeur. Le musicien américain connaît une double pression économique. D’abord, il ne bénéficie d’aucun soutien du type du régime des artistes intermittents que nous connaissons ici, et doit donc assurer sa survie en travaillant pour «l’industrie» aux conditions qu’elle dicte. Ensuite, comme tout autre activité, sa «valeur» devant la société sera mesurée par l’argent qu’il gagne ou fait gagner. Le musicien de jazz n’est d’ailleurs pas le mieux placé pour cela mais cela reste une constante culturelle.Ces deux exemples créent des différences avec les musiciens que nous sommes ici en France parfois en positif comme la connaissance plus complète des codes de cette musique qui permettent l’échange, ou un plus évident professionnalisme dû à une concurrence plus féroce, mais aussi parfois en négatif en bridant la créativité résultant de l’exploration des marges, en rupture ou en ignorance de certains codes que nous avons le luxe de pouvoir pratiquer ici.
3) Joues-tu différemment en l'absence d’instrument harmonique dans ta formation ? Te sens-tu plus libre à cette occasion?
Je joue différemment. Et on peut dire que je me sens plus libre en effet. L’harmonie du piano ou de la guitare (à un degré moindre) est très dirigiste. je suis leader de mon groupe et dans le trio je n’ai pas à passer par les mots pour expliciter telle ou telle couleur harmonique, c’est à moi de la jouer! Mais surtout, c’est rythmiquement que j’y trouve mon compte. Lorsqu’on joue une musique d’improvisation et qu’il y a trop d’informations rythmiques qui se superposent, il devient très difficile de faire une musique fluide. Je ne vois pas cela en terme de liberté car on est aussi libre en 4tet et en big band, mais plutôt en terme de musicalité. Jouer ensemble véritablement est un but plus souvent atteint à 3 qu’à 4 ou 5. Et en dessous de 3 musiciens on n’est plus une formation collective mais deux individus qui dialoguent, c’est d’ailleurs aussi une formule que j’aime aussi pratiquer.
4) Quels sont les contrebassistes qui t'ont le plus influencé ?
Sans hésiter, Christian McBride et Charlie Haden! Dans l’histoire de l’instrument, celui que je mets au-dessus de la pile, ce serait Oscar Pettiford qui me semble le plus génial, un extra-terrestre qui alliait une technique parfaite à une inventivité mélodique sans équivalent. En écoutant Monk plays Ellington, j’étais persuadé que les solos de contrebasse étaient composés, je veux dire écrits, tellement ils sont parfaits. Mais j’ai pu constater en écoutant la discographie live d’OP que c’était son niveau d’improvisation. Génial.J’ai évidemment beaucoup appris d’autres grands maîtres comme Ray Brown pour sa science harmonique et de Ron Carter pour sa souplesse, son son et son rebond. Mais les deux qui m’ont finalement le plus influencé sont bien Christian McBride et Charlie Haden. McBride est un phénomène technique qui joue une musique bordée par la tradition qui m’a d’emblée touché alors que j’étais en train de faire une immersion volontaire dans la culture musicale afro-américaine. Jusque dans ses travers tape-à-l’oeil, McBride y est en plein. Il a donné corps à la façon dont je voulais jouer pendant tout mon apprentissage. J’ai donc presque appris la technique en relevant et travaillant ses solos, très exigeants sur le plan de l’exécution mais surtout chargés de culture groove et blues à chaque coin de phrase. Il m’a aussi souvent fait croire en live que l’impossible était possible sur cet instrument. Je ne m’en lasse pas encore aujourd’hui car il est l'un des rares qui suscite l’empathie à l’écoute par une réelle mise en danger technique de tous les instants. Plus tard dans mon apprentissage, j’ai « rencontré » Charlie Haden. sa musique m’a d’abord paru faible techniquement mais a exercé tout de suite une certaine séduction que je ne comprenais pas vraiment. Très vite, il m’a fait dépasser les préjugés sur la virtuosité, la justesse, ou autres barrières de l’esprit du musicien pour me faire entendre la poésie, la fragilité parfois, mais aussi parfois un groove puissant mais toujours incroyablement original comme dans le trio de Kenny Barron (« Take the Coltrane ») avec Roy Haynes. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert son engagement politique qui n’a fait que renforcer mon admiration et mon attachement pour ce musicien.
5) On peut considérer de part ton instrument mais aussi de part tes qualités de musicien que tu exerces une activité de sideman assez conséquente… N'est-ce pas trop difficile de mener en plus une activité de leader alors que l'on connait le travail titanesque que cela représente?
Si, bien sûr , c’est trop. Si on ajoute l’engagement associatif, l’engagement politique, et la paternité, c’est probablement impossible. Et d’ailleurs je ne prétends pas bien y arriver mais c’est quand même quelque chose dont j’ai besoin de loin en loin. Je trouve aussi que c’est important que les musiciens soient acteurs de la production globale. En cela, je trouve l’auto-production intéressante même si c’est une gageure. Sinon, qui va donner la couleur d’ensemble de la production, les directeur artistiques? Les agents? A quel titre? C’est aussi pour cela que je soutiens régulièrement la démarche du crowdfunding en participant à de nombreux projets. C’est merveilleux, quelques minutes et quelques euros et nous devenons collectivement des producteurs indépendants avertis. J’en ai d’ailleurs fait usage pour mon album James Connolly Ways.
6) Cet album est dédié à tous les acteurs du combat social et humain et plus particulièrement à James Connolly. Peux-tu nous parler de cet homme? En quoi ce personnage a-t-il influencé ta musique?
C’est un peu délicat en ce sens que la nature de la musique n’est pas illustrative ou narrative. Mais dans ce cas, c’est assez simple. C’est en jouant ce morceau avec la chanteuse Louise Blackwell que j’ai rencontré ce nom. L’anecdote est sympa. Louise n’avait que la mélodie et j’étais le premier arrivé sur place. Comme elle voulait le jouer le soir même mais n’avait pas de partition, je me suis mis au piano, et j’ai essayé d’harmoniser cette mélodie très belle qui m’inspirait. J’ai noté les accords et nous avons joué cet « arrangement » le soir-même. La beauté de ce morceau m’avait marqué et j’ai cherché qui était ce James Connolly. C’est seulement là que j’ai découvert l’importance politique et philosophique de ce penseur, son histoire personnelle et son engagement total jusqu’à la mort pour sa cause ainsi que son statut de héros national irlandais pour sa résistance face à l’oppresseur anglais. Pendant plusieurs années, je suis revenu et je me suis cultivé sur l’Irlande, (bien que je n’y sois pas encore allé !). Parallèlement, mon engament personnel grandissait et mes convictions s’affirmaient. L’histoire irlandaise est fascinante: guerre de religion, occupation étrangère, famine, révolution, diaspora des nouveaux mondes. Tout ça m’a amené à vouloir enregistrer ce morceau dans mon premier album. Mais au moment de retrouver la musique , j’ai séché et il a fallu que je demande à Louise de m’envoyer une version qu’elle avait enregistrée pour retrouver les accords que sa façon de chanter m’inspirait et que les autres versions que j’avais entendues ne me donnaient pas. Je l’ai enregistré avec la Chanteuse Sandra Nkake et je sais que c’est un morceau qui l’a marquée aussi. Comme j’ai beaucoup aimé le résultat final, c’est devenu le titre de on premier album et puis de mon groupe.
7) Tu sembles contrairement à la majorité des musiciens de Jazz souvent trop policés, assumer publiquement ton engagement politique. Est-ce facile de concilier ce combat et ta carrière de musicien ?
Je conçois parfaitement qu’on dissocie les choses entre sa vie, son engagement et son art, mais pourtant, je ne vois absolument pas, pour moi, comment je pourrai le faire. Jouer sur scène, sa musique ou une autre, composer et donner à entendre est déjà, au moins pour moi, un engagement total et pas si évident. C’est un «courage» que j’ai mis plusieurs années à acquérir, par la réflexion sur mon art et la pratique réfléchie de mon instrument, pendant plusieurs heures quotidiennes.Après, chacun a des convictions et il faut savoir faire la part des choses. on ne joue pas des idées, ni des opinions mais jouer pour le meilleur de ceux qui jouent avec nous et ceux qui nous écoutent est déjà en soi un engagement. Quand on arrive à des idées politiquement identifiables, qui ne sont pas illustrées directement par la musique, chaque musicien se positionne comme bon lui semble. Séparer les choses peut répondre à une exigence d’humilité, de respect des opinions d’autrui notamment de son public, ou à de l’opportunisme. Unifier le musicien au citoyen, et à l’homme, répond à un désir d’honnêteté, de cohérence ou de confort. J’ai fait le deuxième choix.
8) Au regard de ton expérience, aurais-tu un ou plusieurs conseils à prodiguer aux jeunes musiciens professionnels?
Oulà ! …Oui, bien sûr, j’ai des conseils à donner. Mais il faut aussi savoir que notre expérience n’est pas complètement pertinente pour leur situation. Et que ce sont eux qui trouveront leurs solutions. Je me lance: Je conseillerai de réfléchir à la durée, au temps. L’apprentissage est long, et on est souvent dans l’instant. c’est d’ailleurs ce que jouer nous force à faire être dans le présent et ce serait beau de ne pouvoir se préoccuper que de cela! Mais voilà, aujourd’hui, les conditions économiques sont difficiles pour la culture et le jazz est le parent pauvre de la musique depuis longtemps, alors il faut essayer de se poser certaines questions avant qu’il ne soit trop tard. Comme par exemple, est-ce que j’aime ça autant que je le crois? Est-ce que je suis prêt à porter cet instrument toute ma vie? Est-ce que je sais comment créer les conditions économiques qui me donneront le temps d’atteindre mes objectifs? … Je leur conseillerai aussi de ne pas penser seulement en individu. Mais de se tourner vers la dimension collective de cet art. C’est d’ailleurs, me semble-t-il déjà le cas chez les jeunes musiciens alors que dans ma génération, il est très difficile voire impossible de faire construire autre chose qu’un répertoire à un groupe de musiciens sous la direction ou le nom d’un d’entre eux! Je crois que la musique sera plus intéressante dans cette direction comme montre la recrudescence de groupes stables comme Rudder, The bad plus, ou Kneebody. De plus, la solidarité induite par le travail collectif entre musiciens sera un facteur de sécurité qui favorisera la création. Musique et musiciens ont donc tout à y gagner.
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