LF : Je crois que tu as eu un apprentissage du jazz un peu particulier, peux-tu nous en parler ? Et comment travailles-tu la musique aujourd'hui?
PW : Mon apprentissage du jazz n'est pas si particulier en fait. Comme la plupart des musiciens de ma génération je suis passé quelques années dans des écoles et conservatoire de musique. Je l'ai sans doute fait assez tard. Ensuite ce vers quoi je me suis orienté très vite m'a mis dans une situation d'incompréhension de la part de la plupart de mes professeurs, surtout de piano, ce qui m'a forcé à avoir une posture d'autodidacte, relativement en opposition avec la manière académique d'enseigner le jazz. Je me suis alors lancé dans le relevé et l'étude précise de pianistes et musiciens que j'aimais : Monk, Ellington, Dolphy, Dollar Brand, McCoy Tyner, Cecyl Taylor... dont certains sont considérés comme des originaux certes intéressants mais pas comme des artistes « analysables » ou « étudiables », ce qui est faux, et j'ai été très influencé par eux, dés le départ.
J'ai poursuivi dans cette voie, poussé entre autre par mon dernier professeur : Patrick Villanueva qui m'a soutenu et apporté énormément de clés et de connaissances. Je privilégie une approche historique et stylistique du jazz et de la musique en général : j'essaye d'enrichir ma culture musicale en y incorporant des éléments et des techniques qui m'intéressent. Je n'ai pas une démarche d'expérimentation mais plutôt d'imprégnation.Enfin je travaille très sérieusement une approche percussive du piano, mais ce sera trop long d'en parler ici.…
LF : D'où vient cette passion pour le free et que signifie cette musique pour toi ? Cette musique est marquée par les luttes sociales et le combat pour les droits civiques, notamment aux USA dans les années 60, est-ce encore quelque chose d'actuel et présent dans ce groupe?
PW : La musique « free » des années 60 est un héritage familial. Je l'ai reçu très jeune, j'ai découvert le jazz avec Archie Shepp, Coltrane, Dollar Brand à 10 ans. Je suis toujours attaché à cette appellation même si cette musique n'est pas que de l'improvisation libre. Pour moi mêler éléments écrits et improvisés, c'est tout simplement ce que je sais faire de mieux, c'est une culture et une technique que je possède au plus profond, donc j'évolue naturellement dedans. Maintenant je pense que ce n'est pas une musique plus libre que les autres : n'importe quelle musique peut donner un sentiment de liberté immense et c'est un des enjeux que doit affronter chaque musicien. Par contre c'est une musique qui a porté dans son ensemble une volonté d'émancipation, de libération, qui peut toucher n'importe qui. Je suis plus attaché à cette valeur « révolutionnaire » qu'à la manière de faire de la musique.
LF : Lors de certains de tes concerts, tu as rendu hommage à Dollar Brand. A-t-il une grande influence dans ton jeu ou dans ton écriture? Et au-delà de Dollar Brand, quelles sont tes principales influences, ou lesquelles revendiques-tu?
PW :Dollar Brand a été mon phare pendant mes premières années d'apprentissage. Comme je le disais, très peu de ce que j'entendais dans les écoles, et même dans les clubs, correspondait à ce que je cherchais à produire. Je suis alors retourné à ce qui m'a poussé au jazz, et en particulier Dollar Brand. Chez lui j'ai trouvé une identité swing, jazz, et africaine très claire. C'est un pianiste incroyable avec un son époustouflant, rempli d'harmonique et de mystère. C'est par lui que j'ai intégré l'idiome du jazz et les prémisses de la technique pianistique percussive vers laquelle j'étais attiré, ainsi que par les rythmes africains, le jeu en ostinato etc...
Je resterai toujours imprégné de son jeu mais depuis j'ai étudié avec attention beaucoup d'autres musiciens : Randy Weston, Mal Waldron, Archie Shepp qui participent d'un courant similaire, mais aussi Eric Dolphy et Andrew Hill. Eric Dolphy m'a fait intégrer le bop (au sens large!) et Andrew Hill m'a permis d'assumer une conception souple du swing, et l'étude de ses compositions m'a énormément inspiré.
Toutes ces influences se mélangent bien sûr... Mais, grosso modo, je me reconnais dans une lignée de pianiste que Mathew Shipp appelle la « Black Mystery School » et que je continue d'étudier. Ma composition est issue de la « free music » que j'enrichie avec l'étude des musiques traditionnelles africaines et européennes, et aussi un peu le classique. Comme plein de gens finalement.
LF: Comment fonctionne ta musique dans le Healing Unit et surtout comment s'articule le mélange écriture / improvisation ?
PW : Je cherche à avoir un peu tous les cas de figure. Concrètement, on peut jouer un blues mineur comme une pièce complètement libre, en passant par une balade arrangée voix par voix. Il y a des grilles rythmiques, des moments modaux, etc... Je cherche en fait surtout à découvrir des mélodies fortes, et à trouver leur signification, et donc l'identité de la composition. Cela passe très souvent par une recherche collective. Cela nous amène à trouver morceaux par morceaux des modes de jeu différents. De nombreux morceaux sont articulés autour de mélodies simples qui permettent d'improviser des suites à grandes échelles. Cela demande une très bonne connaissance du matériel, une écoute attentive, et une grande spontanéité. Ensuite pour moi le point principal reste une qualité de swing ou de « drive » qui donne vie à l'ensemble.
LF: Un membre du collectif de la Fabrica'son, Benoist Raffin, joue dans ton orchestre. Peux-tu nous raconter votre rencontre qui est plutôt originale ?
PW : C'est une rencontre qui a eu énormément d'importance pour moi, pour des raisons personnelles. Disons pour faire bref que Benoist était un ami de la famille que je n'avais pas vu depuis ma petite enfance et que j'ai retrouvé par hasard à la Fabrica'son, lors d'une Jam, en lisant son nom dans le programme . Je dis un grand « merci » à la Fabrica'son !
Benoist est la colonne vertébrale de ce groupe. On a la même culture et il m'a toujours accompagné et soutenu. Il m'a appris énormément et m'a permis d'aller au delà de ce que je savais faire. C'est un musicien hors pair, sans lui je n'aurais sans doute pas mené à bien ce projet aussi vite.
LF: "Healing Unit", ça évoque quelque chose de thérapeutique, non?
PW : C'est une question qui ramène aux questions « politiques » liées à la musique. Ce nom résume mon attachement à cette valeur, le "healing" qui a été défendue entre autres par Albert Ayler, William Parker, et que l'on retrouve dans de nombreuses cultures traditionnelles. C'est un effet possible de l'art: nous faire nous sentir mieux, plus libre, plein d'envie de créer ou simplement de vivre pleinement. Je ne prétends pas y arriver mais ma démarche artistique vise cela et c'est ce que j'affirme à travers ce nom. L'enthousiasme, l'exaltation, mais aussi l'apaisement, la joie ou le sentiment d'une révolte nécessaire, c'est ce que je souhaite partager avec les gens.
Giftofvision - Sneakers search engine | Nike Air Force 1 Low UV Reactive Swoosh - DA8301-101La Fabrica'son, Maison de la Vie Associative, 28 rue Victor Hugo, 92240 MALAKOFF, Tél. 01.55.48.06.36, email : coordination.fabricason@gmail.com