LF : Pour un percussionniste, comment se pense la composition ? Doit-on avoir un sens de la mélodie ou est-on uniquement dans des développements de rythmes ?
DF : La mélodie est liée au rythme et vice versa, c'est indissociable si l'on veut raconter des histoires : ma batterie est réglée de manière mélodique dans Percussions Profiles et le vibraphone emmène souvent des harmonies.
Les musiciens que j'ai réunis autour de cette création sont avant tout des artistes, des hommes ; la musique n'est pas une affaire d'instruments, c'est une affaire de personnes, d'individus, d'êtres humains qui s'intéressent ici aux musiques de jazz, ethniques et contemporaines. Nous abordons ce projet comme une espèce d'aller-retour entre l'improvisation et la musique écrite. Ce sont comme des régions, des couleurs, des énergies, des paysages harmoniques et rythmiques qui se trouvent dans la mémoire, que nous pouvons convoquer et qui, d'un seul coup, appellent une mélodie, un contrepoint, ou une polyrythmie.
Chez moi, je chante tout avec la voix ; sur scène c’est un chant qui se passe à l’intérieur et dont je ne suis pas conscient. À partir de là, les éléments se construisent au cours de l’énergie. C’est le rythme et l’ouverture, le ‟laisser-venir” qui construit. Je mène ces séquences, ou arcs musicaux, à un point maximum et je m’arrête là où cela pourrait encore monter mais où le risque est que tout s’écroule. C’est quelque chose de très simple et de très compliqué à la fois. On peut comparer cela à quelqu’un qui raconte une histoire et rate le moment où il a tout dit.
Essayer de décrire exactement comment je construis un morceau de percussion ferait l’objet d’un essai, cela prendrait beaucoup de temps et d’espace.
LF : Avez-vous déjà invité, lors de vos concerts, un autre instrument mélodique ?
DF : Pour l'instant, non. Nous travaillons sur une autre forme de représentation, avec la vidéo et la photo, sur une création : Terra de Lutz (cf site). J'envisage, dans l'avenir, d'inviter dans le trio Percussions Profiles un autre musicien saxophoniste, David Caulet, avec qui je joue régulièrement en duo. Et surtout je voudrais ajouter de la voix, comme je l'ai fait dans le disque vinyle Paysage de Fantaisie.
Et puis la maison percussions est ouverte à toutes les expériences !
LF : Avec la voix, les percussions font partie des instruments les plus anciens dans l'histoire de l'humanité. Les compositeurs contemporains y sont aussi très sensibles. Comment expliquez-vous cette attirance ?
DF : L’Homme a communiqué, dès le premier moment, en tapant sur une pierre ou un bout de bois et en émettant des sons avec les cordes vocales : la transmission orale est la première manière fondamentale de vivre la musique. Nous avons évolué dans notre humanité avec cette chose qui ne nous quittera, je l'espère, jamais ! Dans le jazz, la voix constitue l'essence de l'art musical et le chant fut la première source d'inspiration que les instrumentistes s'efforcèrent de reproduire. Les femmes, en particulier, ont su affirmer leur capacité à être de remarquables interprètes.
LF : Avez-vous déjà joué avec des percussionnistes d'autres cultures musicales (Afrique, Orient, Asie, Antilles…) ? Si non, ces traditions ont-elles quand même influencé votre musique ?
DF : Bien sûr !! La percussions est si riche : la caisse claire c'est l'occident, les toms sont les tambours africains et les cymbales, l'orient.
J'ai voyagé pendant des années en Afrique, où j'ai notamment travaillé avec Doudou Ndiaye Rose, à Dakar, ou en Inde au Karnataka Collège de Bangalore. J'ai aussi beaucoup travaillé sur mes racines musicales méditerranéennes… Donc oui ! toutes ces formes traditionnelles de percussions ont influencées mon jeu et le jazz a su synthétiser toutes ces cultures. Le jazz est une grosse bête qui se nourrit de tout…
LF : Les compositions sont-elles collégiales ? Elles semblent naître d'improvisations ? Est-ce le cas ?
DF : Pour le disque le Mystère de la Pyramide le seul écrit que j'ai apporté, c'est le thème du titre. Après, il est vrai que j’apporte souvent des idées poétiques et dans ce disque les titres sont évocateurs et permettent aux improvisations de se développer avec un certain feeling. Nous avons beaucoup improvisé ensemble, nous nous sommes entraînés, entraidés, et tout est devenu collectif : sur scène nous laissons la place à la liberté pour pouvoir nous surprendre.
LF : Question qui tue : dans notre collectif, nous avions un trio de contrebasse ; comment tient-on un public uniquement avec des percussions ?
DF : La percussion parle directement à l'humain par sa vibration, plus que d'autres instruments, comme je l'ai expliqué précédemment. Mes expériences du moment avec Hamid Drake et Ramon Lopez me confortent dans ce sentiment : même si les formes sont très libres, elles parleront à plus de gens que si cela était joué par des cordes ou des vents... La résonance, c’est le chant. La batterie chante, elle résonne. Elle porte le son dans l’espace, et le son vous porte, vous fait respirer. Et si vous respirez, vous serez inspiré. Vous pouvez donner un coup… Où va-t-il ? On peut donner une multitude de coups qui nous tombent devant les pieds… Mais on donne plutôt une pulsion à un tambour dans laquelle on se donne entièrement. On la dirige vers son public, là, dans l’espace. Cette pulsion part comme une flèche et va loin, bien au-delà de l’horizon.
Le tout est issu de ma manière de jouer la batterie que je cherche à « mélodiser », varier, orchestrer.
LF : En vous écoutant, la danse nous vient à l'esprit et au corps, n'est-elle pas une source d'inspiration, voire même une directive dans votre musique ?
DF : J'ai commencé la batterie dans des bals. Par la suite, j'ai fait des tournées de concerts dans le monde entier et j'ai rencontré et joué avec des musiciens africains, indiens, chinois, coréens et brésiliens… Nous avons joué des musiques de traditions liées à la transe, danse, dense. Je reste toutefois très lié à la tradition de la musique européenne.
En dehors de mes groupes, j’aime aussi beaucoup jouer en solo ; cela est fondamental pour moi.
LF : Ne trouvez-vous pas que les répertoires classiques et contemporains « s'interdisent » parfois de swinguer, de groover ou de danser tout simplement ?
DF : Les compositeurs de musique contemporaine et classique, dans le domaine de la percussion et en général, ne sont plus des instrumentistes de nos jours. Ils ne font plus corps avec l'instrument, comme par le passé Jean Sébastien Bach « swinguait » sur son piano.
Ils écrivent ou travaillent sur des ordinateurs : cela vous coupe du sens profond de la musique, de ce lien, comme vous le dites, à la danse, au groove et au swing qui est indispensable pour que la musique coule. Cela demande donc que rien ne freine, que mon centre d’énergie – qui se trouve au niveau du bas-ventre – soit complètement détendu, que je me trouve dans un état de joie. Je me laisse emporter par la musique. Lorsque cette chose se passe, on entre peu à peu dans une sorte de transe, mais sans hystérie, et cela s’intensifie continuellement : comme si l’on quittait peu à peu le sol et que l’on commençait à s’envoler. On entre dans un état non conscient, où seule l’oreille est présente. On est dans un état de grande félicité... Je pense que beaucoup de compositeurs classiques et contemporains n'ont rien compris ou se refusent de comprendre et d'aimer le jazz et la musique improvisée, trop libre et revendicatrice, si difficile à jouer.
J'aime jouer sans papier devant moi, peut-être par solidarité aux sans papiers !?
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