LF : Vous jouez ensemble depuis très longtemps (Daniel Humair, Alban Darche, Gabor Gado...) Quand l'idée vous est-elle venue de ce duo ?
SB : L’aventure a démarré au cours d’une résidence pédagogique en Mayenne en 2003. Nous sommes intervenus en duo en milieu scolaire pendant plusieurs semaines (de la maternelle au lycée). Nous avons alors commencé à synthétiser les expériences communes autour des répertoires que vous citez, tout en improvisant librement notre musique.
MD: Je dirais que ce duo s'est peu à peu imposé à nous comme une évidence. Nous nous sommes rencontrés en 1998 ou 1999 et n'avons jamais cessé d'officier ensemble dans bon nombre de groupes. La connivence s'est faite comme ça.
LF : Votre musique souffle un vent de liberté réjouissant, parfois inattendu. Comment définiriez-vous cet espace très large que vous créez et dans lequel vous nous invitez ?
SB : La musique de Wood propose principalement un espace de dialogue, donc dédié à l’écoute de l’autre, à l’argumentation, à la réaction, à la proposition et au partage. Cela sans recherche particulière de format ou d’étiquette.
MD : Que dire de plus ? Je pense que nous essayons de faire de la musique de la manière la plus naturelle possible. Nous sommes deux, nous nous connaissons plutôt bien, des gens sont là pour écouter : à nous de raconter quelque chose.
LF : Au travers de ce duo il est clair que vous nous présentez un jazz sans frontière, sans étiquette, sans tiroir... N'est-ce pas tout simplement de la musique qui prend corps au sein de l'improvisation, au gré du moment?
MD : Oui, c'est bien ça ! Enfin, il me semble. Nous ne cherchons pas à célébrer un style ou une époque qui aurait notre préférence, nous cherchons à nous écouter et à construire de la musique ensemble à l'instant où elle se joue. Alors forcément, à ce jeu-là, la musique nous emmène là où elle doit aller…. nous ne nous interdisons pas grand-chose. Alors bon, les étiquettes…., c'est bien pratique, j'en utilise moi-même, mais pas pour faire de la musique.
SB : Aujourd’hui le monde du jazz semble s’orienter vers une conception de « produits ». Pour définir (et vendre) un produit, il faut le calibrer, le cibler, le stabiliser, l’étiqueter. Sans trop de surprises, sans prise de tête, à grand renfort de com’… Oui, la musique de Wood, est une musique de l’instant, c’est sa seule cible ! Elle peut perdre des gens, au sens où ils ont la possibilité de s’égarer, de s’évader, de changer de trottoir, et pourquoi pas de se questionner. Et quand on se perd, on découvre l’inattendu…
LF : Vous apportez, avec beaucoup de subtilité, une couleur, une émotion jazz à toutes les musiques que vous associez, combinez, détournez (musique contemporaine, musique improvisée…) Comment parvenez-vous à ce résultat : du jazz mais bien au-delà ?
SB : Nous ne cherchons pas volontairement à faire sonner les références que vous citez. Ces références font partie de notre culture, et c’est la culture qui singularise chaque être. L’identité musicale de Matthieu comme la mienne ont été forgées par des expériences très variées et le langage actuel du jazz nous permet ce brassage d’influences et d’émotions. Nous travaillons avant tout à rester nous même, avec notre bagage et notre curiosité. Qu’y a-t-il au-delà de la musique, l’humain ?
MD: il y a aussi le fait que Wood est un duo. Dans un duo, contrairement à un quartet ou un quintette, l'instrumentiste est beaucoup moins dévolu à une fonction précise, a bien plus d'espace disponible pour s'exprimer mais aussi, dans la construction de la forme, plus de rôles à jouer; c'est tout de suite une sorte de musique de chambre. Les différents types de formes musicales que l'écoute de Wood vous évoque viennent, je pense, pour partie du fait que nous nous approprions ces espaces à notre guise. Et puis, le jazz est par essence une sorte d'éponge, qui a toujours changé de forme au gré des époques : du coup, j'ai l'impression que le jazz n'est pas un style de musique défini, mais plutôt une façon de faire de la musique.
LF : Le duo implique-t-il une toute autre façon de penser votre propre jeu en tant que soliste? Matthieu ne devient-il pas parfois accompagnateur ?
MD : J'essaie en tout cas de le devenir de temps en temps ! Bon, je n'ai pas l'instrument idéal pour ça, c'est vrai, mais Seb joue des trucs si bizarres que parfois ça marche ! Trêve de blagues : oui, le duo implique forcément une toute autre façon de penser son propre jeu en tant que soliste.
SB : Au gré de nos discussions improvisées, nous pouvons aborder différents sujets. Le matériau écrit ou improvisé peut servir d’aiguillage pour changer d’axes. Chacun est en responsabilité pour proposer des formes et des directions. Le rapport soliste-accompagnateur est effectivement interchangeable, mais c’est surtout la construction et la composition instantanée qui domine alors notre pensée.
LF : Quelles directives vous donnez-vous pour mélanger si bien l'écrit et l'improvisé ?
SB : D’abord le son, ensuite l’écoute, puis la construction des formes. C’est grâce à nos affinités sur ces questions que le mélange est cohérent. Souvent, le matériau écrit est conçu pour être « élastique », de sorte que l’instant et notre condition du moment peuvent façonner un nouveau visage à chaque version, et ouvrir de nouvelles portes vers l’improvisation.
MD: c'est vrai, mais j'ajouterai que nous y avons aussi travaillé, d'une certaine façon. En transcrivant par exemple certaines de nos improvisations sur papier, pour en faire des compositions, ou encore en montant sur scène avec en guise de partitions des feuilles de papier sur lesquelles nous avions écrit des adjectifs ou de courtes phrases. En tentant aussi d'aller vers une façon de jouer qui relie l'écrit et l'improvisé.
LF : Vous avez tous les deux porté votre musique dans les milieux scolaires. Quelles ont été les impressions des enfants face à cette musique ?
SB : Jusqu’à 10/11 ans, ils saisissent totalement la dimension ludique de l’improvisation. Le jeu, l’invention, l’imaginaire, la réactivité, font pleinement partie du monde des enfants. Un monde avec peu de frontières. Après, il faut travailler à déconstruire les clichés, à garder les yeux et les oreilles ouvertes. On entre sur le terrain de l’empire des marques et de l’industrie dont les jeunes adultes deviennent les cibles. Mais pour tous, c’est souvent l’occasion d’être en contact avec le son pur des instruments, sans filtre, sans compression, les vraies vibrations. C’est très intéressant, et les valeurs véhiculées par la musique live en général et nos musiques en particulier (l’écoute, la prise de décisions, la réactivité, l’analyse, la construction collective…) devraient à mon sens être intégrées dans le socle des fondamentaux pédagogiques.
MD : Je ne peux que souscrire, c'est aussi mon avis. Au-delà de la découverte d'une musique et des instruments (ce qui a déjà son importance, certains enfants n'ayant jamais vu ni entendu un instrument de musique joué devant eux), les élèves sont confrontés, lors de ces interventions, à l'élaboration de formes en temps réel. C'est-à-dire qu'ils voient des adultes en train de créer quelque chose d'imprévu, devant eux. D'improviser, comme on dit. Peu importe que ce soit de la musique, vous savez : c'est que nous soyons adultes qui les étonne le plus ! Moi aussi, d'ailleurs…
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