Julien Loutelier répond à nos questions
LF : Comme le groupe Rétroviseur qui est venu jouer au théâtre 71 en novembre, vous faites partie du collectif COAX. Que vous apporte cette expérience collective ?
JL : Actuum fait partie du collectif COAX tout comme Rétroviseur et une dizaine de groupes parisiens. COAX, c’est pour nous une énergie incroyable, à la fois humaine et artistique, menée par nos aînés de quelques années ! On partage beaucoup de choses ensemble sur scène et dans la vie. On se stimule ! Et je pense que cette énergie est assez saisissante pour un public ! Une grande force !
LF :Dans la musique improvisée, nous voyons souvent des projets qui se révèlent surtout comme des rencontres de musiciens ayant développé une personnalité dans cette musique. Or, on sent dans votre projet un véritable groupe. Comment vous êtes-vous rencontrés et depuis combien de temps jouez-vous ensemble ?
JL : Je réagis déjà à la première partie de votre question : merci, c’est exactement ce qu’on cherche à donner ! Nous sommes tous les quatre improvisateurs, c’est important pour chacun de nous de développer une personnalité à travers un langage propre. Mais dans Actuum les egos sont mis de côté pour favoriser une « identité de groupe », comme un groupe de rock. On travaille avec un vocabulaire restreint de sons et de modes de jeux pour nous stimuler et créer une « unité » qui – je pense – est reconnaissable !
Tout comme Rétroviseur, nous nous sommes connus tous les quatre à l’école, il y a environ cinq ans (au CNSM). Ensemble et avec d’autres étudiants, on a pu participer à de nombreux projets éphémères autour de différentes musiques, de répertoires (jazz, écriture, improvisation…). En parallèle à Actuum nous jouons et travaillons également dans d’autres projets aux esthétiques assez différentes comme Jukebox, ou notre duo avec Benjamin. Oui c’est vrai qu’on joue très régulièrement ensemble…
LF : Il semble que ce projet a vu le jour au CNSM (conservatoire national supérieur de musique de paris) Comment s'est fait la progression de votre musique avec les enseignants et que vous ont-ils apporté pour faire évoluer cette musique?
JL : Au départ : une impulsion de Benjamin, notre saxophoniste, qui s’est vu chargé d’un projet par le chef du département jazz du CNSM : Riccardo Del Fra. Ben devait composer un groupe pour participer à un concours européen (« Keep an Eye Jazz Award »). Tout est allé très vite ensuite : en quelques semaines un petit répertoire de compositions de Ben est monté. Actuum fait son premier concert dans le plateau 6 du CNSM devant les soixante étudiants et l’équipe des profs « jazz » ! Tout le monde a été immédiatement très positif à notre égard ! Et on a gagné le concours à Amsterdam ! Champions d’Europe !!! Plus sérieusement, c’est surtout une grande confiance de nos professeurs qui a permis au groupe d’exister, et ça on le doit surtout à Riccardo.
LF : On sent dans votre musique une certaine jubilation et parfois une sorte d'insolence respectueuse (ou l'inverse). Que cherchez-vous à repousser (à faire sauter ?) : le cadre, le discours autre chose ?
JL : Si Louis était à mes côtés, il parlerait encore de ses histoires de « mini-schtroumfs » ..! Oui c’est vrai qu’on peut parfois avoir l’air d’excités ! On aime dépasser nos limites sur scène : limites techniques, limites physiques…et même mentales puisqu’on apprend tout par cœur. On écrit des choses « injouables » pour salir sciemment nos sons et phrasés. L’erreur est utilisée, elle fait partie de notre jeu, on la cherche ! Nos meilleurs concerts ont lieu quand la prise de risque est maximale. A contrario, je repense au concert d’ouverture de Jazz Migration à la Dynamo où, du fait du contexte flippant, on a juste joué poliment nos compositions… Non, Actuum n’est rien (ou si peu) sans cette jubilation !
LF : Lorsque l'on écoute votre musique, il nous semble entendre réellement l'influence d'Ornette Coleman. Que représente pour vous ce musicien et sa musique?
JL : Oui, Ornette est une grande influence pour nous quatre, et plus directement pour nos « soufflants » Benjamin et Louis. Ils en parleraient d’ailleurs mieux que moi. Notre recherche est intimement liée à la musique d'Ornette, à celle d’Antony Braxton et plus généralement à la mouvance free jazz . C’est surtout les sons utilisés, les rythmes employés, et l’interaction qu’on emprunte au Free ! En fait j’aime bien l’idée qu’on joue un Free Jazz accéléré, compacté !
Les improvisateurs européens sont également très présents dans nos oreilles et nos corps, comme Evan Parker ou Barry Guy…
LF : Les compos sont signées par le saxophoniste. Quelle est la part d'écriture, d'organisation ? Quelle est la part de création collective et improvisée ? Quelle direction vous donnez-vous pour gérer ce beau mélange écriture /improvisation que vous dégagez?
JL : Comme je l’ai mentionné plus haut, Benjamin est à l’origine du projet, et de la réunion de nos quatre corps ! C’est vrai qu’il a écrit la quasi-totalité des « compositions », comme si Actuum était une « expansion » de son univers intérieur ! Mais la composition se limite parfois à une phrase rythmique, à une suite de chiffres ou à une idée simple qui peut provenir d’une improvisation ! Nous écrivons une grande part de la musique ensemble et l’arrangeons toujours à quatre. D’ailleurs c’est parfois un peu fastidieux puisqu’on part d’un « rien » et on le complète au fur et à mesure des répétitions et concerts ! Enfin, et depuis une petite année, on travaille aussi sur des miniatures, très écrites et difficiles, et on commence seulement à pouvoir prendre des libertés à l’intérieur de ces petits cadres !
LF : Au début de chaque concert, aimez-vous savoir à peu près où vous allez ou aimez-vous faire une belle place à l'incertitude et à l'inconnu ?
JL : On essaye de préméditer les formes globales de nos concerts en offrant une grande place à l’instant présent dans un cadre qui nous semble judicieux. Même si je viens de parler de morceaux très écrits, d’autres ne sont pratiquement qu’improvisation. C’est une histoire d’équilibre à doser, pour se nourrir de l’écriture sans qu’elle soit un frein à l’inspiration.
LF : Dans nos sociétés occidentales soit disant avancées où « tout est possible », où « tout se vaut », où « tout est accepté »… avez-vous choisi de faire de votre musique une revendication quelle qu’elle soit ?
JL : Je ne pense pas qu’on veuille dire quelque chose avec notre musique (on se dissocie ainsi sans doute de la mouvance engagée du Free Jazz). On aime jouer ensemble et partager notre enthousiasme sans arrière pensée ni volonté de choquer ! Actuum est d’ailleurs très bien reçu à l’étranger comme à la Casa Da Musica de Porto le mois dernier où la salle nous a donné une grosse patate (12 Points Festival) !
LF : Le jazz, les musiques improvisées, les musiques savantes sont-elles aujourd’hui pour vous représentatives d’une diversité sociale tant au niveau du public qui l’écoute que des musiciens qui la pratiquent ?
JL : C’est un sujet assez complexe tant les jazz et musiques savantes sont différents. Pour ce qui est du public, je crois que nos musiques touchent et peuvent toucher des gens de tous âges et de tous milieux. C’était flagrant à nos concerts à Porto et Amsterdam, et plus généralement à l’étranger. En France, beaucoup de travail reste à faire. Nous ne refusons jamais de jouer dans des bars, squats pour confronter notre musique à d’autres publics que ceux du réseau AFIJMA (association des festivals innovants en jazz et musqiues actuelles) ou FSJ (fédération des scènes de jazz) par exemple. Pour ce qui est des musiciens, on finit par tous se ressembler, même si on ne vient pas des mêmes milieux ! Bien qu’un microcosme dans le contexte culturel actuel, la scène improvisée reste cependant très diversifiée !
LF : Dans le contexte électoral et médiatique actuel, quelles seraient vos critiques, revendications et suggestions en termes de politique culturelle vis-à-vis des institutions publiques ?
JL : Plus d’argent et de drogues pour les artistes et étudiants (et professeurs) !
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