Soizic Lebrat, Jean-Marc Foussat et Mickael Nick répondent à nos questions
LF : Ce trio est constitué d'un violoncelle, d'un violon et d'un instrument non acoustique (électronique). Pourquoi ce choix ? Le synthé vcs3 est-il une ouverture vers un autre monde sonore?
Jean-Marc : Le trio s’est constitué autour du synthé (maintenant AKS) initiateur tout d’abord d’un duo avec Micha, invité par Soizic qui jouait un jour à Paris avec Amaury Bourget (Pa), duo que j’avais enregistré à Nantes au Pannonica quelques temps auparavant… Et puis on l’a fait, Micha, Soizic et moi, tous les trois ensemble, parce que nous étions curieux et c’est très bon.
De toutes les façons, pour moi, le synthé est aussi un instrument acoustique à boutons bizarres… qui joue à travers des hauts-parleurs à membranes acoustiques, comme le violon et le violoncelle jouent de la corde à travers du bois acoustique ! Moi, je n’ai pas de cordes, je n’ai que des boutons, mais il ne faut pas oublier que les boutons se cousent avec du fil à défaut de cordes et qu’il y a là une certaine parenté.
Soizic : Depuis plusieurs années au sein de Pa, j’expérimente un dispositif de duo avec Amaury Bourget, dans lequel le son du cello est récupéré via plusieurs capteurs et transformé mécaniquement puis multidiffusé. Avec Jean-Marc, qui est à l’initiative du FLN trio, le principe est similaire. La matière des deux instruments à cordes est amplifiée et peut aussi devenir une matière retransformée via l’instrument de Jean-Marc avant d’être rediffusée. En jouant sur la proximité des timbres entre le cello et le violon ou l’alto de Micha et la diversité des matières sonores de Jean-Marc, se noue un dialogue à trois, où densité lyrique et minimalisme alternent et se côtoient.
Micha : Je dirais plutôt que ce trio est le résultat de la rencontre de Soizic Lebrat, Jean-Marc Foussat et moi-même. Un instrument ne joue pas tout seul à l’exception du piano mécanique (cf. les pièces du compositeur Conlon Nancarrow) et d’autres instruments programmables ou toutes installations prévues ou non pour produire du son, comme par exemple : tuyaux, mâts de bateaux, gonds de portes, ventilateurs etc. L’instrument est la prolongation du musicien qui grâce à son imagination et son inspiration peut faire exister un monde sonore.
LF : Ne penses-tu pas que jouer du jazz ou de la musique improvisée aujourd'hui, c'est plutôt une manière propre à chacun d'investir la musique, plutôt que de répondre à une esthétique bien définie ? Si tel est le cas, n'y a t-il pas paradoxalement une esthétique qui s'en dégage ?
Soizic : Pour moi, l’espace des musiques improvisées permet par la pratique de la rencontre entre musiciens de confronter nos vocabulaires respectifs et ainsi de les enrichir mutuellement, de les faire évoluer, de les renouveler et de les affirmer. Il est aussi le lieu de la construction commune lorsque la rencontre se prolonge par des réunions régulières, qui donnent naissance à un groupe d’improvisateurs. S’il y a par ailleurs un enjeu de renouvellement incessant de la matière sonore en train de se faire, ne serait-ce que par les variations des situations de jeu que nous multiplions dans l’espoir d’ouvrir de nouveaux possibles, l’espace de l’invention est néanmoins propre à chaque parcours individuel. Il dépend de l’ancrage culturel du musicien et de sa nécessité de s’en éloigner ou pas
Jean-Marc : Jouer de la musique improvisée, c’est se jouer soi-même (de soi-même et des autres) à travers son instrument. Je ne suis pas libre de jouer autre chose que du synthé… Mais je suis libre d’avoir choisi et d’avoir accepté d’être choisi par Micha et Soizic pour jouer à la musique ensemble. L’esthétique qui peut s’en dégager, c’est celle de la jouissance, de se faire un grand plaisir à tous les trois… Sinon ça n’a aucun intérêt !
LF : La liberté est-elle un sentiment qui anime votre musique ? Si oui, cherchez-vous à le partager, à l'éveiller, à le provoquer, chez vos auditeurs ?
Soizic : S’autoriser à dire, à faire, à être, oui, mais aussi à ne pas dire, à ne pas faire et à ne pas être. Je cherche avant tout un endroit d’équilibre entre le spontané, ce qui vient d’un état de disponibilité, et le projeté, ce que j’aimerais entendre. De cette dialectique naît une forme de jouissance intérieure. Elle est directement adressée aux auditeurs. Si elle est aussi perceptible, accessible, entendue, c’est plutôt chouette.
Jean-Marc : Oui, c’est sûr ! La liberté est le sentiment qui anime notre musique. Et évidemment que je veux le partager, ce sentiment libertaire, sinon je ne jouerai pas sur une scène, devant des gens… Et s’il était possible qu’il y en ait toujours de nouveaux (de ces individus curieux), ce serait encore mieux.
Micha : Plus que de la liberté je parlerai de la confiance dans l’autre et c’est cela qui donne naissance à la liberté. Je ne sais pas si l’auditeur se sent en confiance en écoutant notre musique. Partager un moment de vie est un grand plaisir.
LF : Comment es-tu venue à la musique improvisée ? Ne joues-tu que cette musique ?
Soizic : Par curiosité et intérêt, par insatisfaction aussi, par nécessité surtout, confrontée aux cadres limitants et normatifs de la pratique savante et bourgeoise de la musique. À l’époque (en 2001), j’ai vécu ce passage entre l’espace des pratiques académiques et celui des pratiques de l’improvisation dite « libre » comme un acte très politique, d’émancipation à la fois individuelle et collective. Si, à l’époque, ces deux espaces m’apparaissaient irréconciliables, clivés selon plusieurs lignes conjuguées de démarcations, à la fois esthétique, culturelle, sociale et économique, cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu de transfuges de l’un à l’autre. Joëlle Léandre est l’une de ces figures exemplaires qui, pour ma part, m’a permis de bifurquer à cet endroit. Depuis quelques années, je ne joue plus de musique patrimonialisée (classique), mais devenir ponctuellement l’interprète d’un auteur contemporain dont j’apprécie le travail, comme Matthieu Prual par exemple, oui, très volontiers. Quand je ne pratique pas l’improvisation libre sous ses deux formes, rencontres ponctuelles inédites ou rencontres construites par la répétition des situations de performance sur du long terme, je privilégie les projets de création qui se construisent via des processus d’écriture plurielle avec d’autres musiciens, danseurs, écrivains, plasticiens, ou scientifiques…
Jean-Marc : Le joueur de synthé répond aussi qu’avec l’instrument qu’il possède il n’a pas le choix… Depuis toujours il joue de la musique improvisée… Cependant il a fallu un certain temps avant qu’il s’en aperçoive !
LF : Dans le contexte électoral et médiatique actuel, quelles seraient vos critiques, revendications et suggestions en termes de politique culturelle vis-à-vis des institutions publiques ?
Soizic : Réfléchir et mettre en place des politiques culturelles qui n’encourageraient pas la soumission d’une production culturelle à des impératifs commerciaux et de rentabilité…
Micha : Il est très important d’éduquer les concitoyens et de faire connaître les possibilités d’expressions « artistiques » : d’abord en direction des enfants, puis des adolescents, des adultes, des ministres de la culture, du Président, des hommes et femmes politiques en générale mais aussi en direction des chefs d’entreprises multinationales et des directeurs des banques mondiales… blague à part ! Dans une société qui tend à être surveillée et contrôlée, il est difficile de donner de l’espace au développement personnel. Si tout le monde commençait à jouir du bien être, qui voudrait encore, sans contestations, se faire exploiter par « l’élite » ? La culture, se cultiver, ouvrir l’esprit, déployer le corps, comprendre, partager,… Il y a des personnes dans les institutions publiques qui croient à cela, il y en a qui sont passionnés, dévoués en dehors des institutions publiques. Là où il faut remplir le théâtre pour rendre des comptes aux politiques locales, on se rabat plutôt sur le divertissement (à cause de l’absence d’une « vraie » politique culturelle), tandis « qu’ailleurs » on se bat pour faire exister cette culture qui questionne, innove, invente, critique, sans soutien ni reconnaissance des institutions.
Jean-Marc : Vaste sujet. La période est celle d’avant des élections et tous les agents institutionnels attendent qu’elles arrivent pour prendre la moindre décision… De toutes façons, ça fait longtemps que ces institutions publiques ne font plus leur travail parce qu’on leur demande des comptes qu’elles ne peuvent plus rendre si elles prennent le moindre risque. Tout est donc faussé dès le départ.
Merci et rendez-vous le vendredi 10 février à 20h30
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