LF : Guillaume, cela fait presque 3 ans depuis ton dernier passage chez nous en avril 2009. Tu te produisais alors dans un puissant duo sax / batterie qui nous a laissé d'excellents souvenirs. Quoi de neuf depuis tout ce temps pour ta "musique libre" ?
GB : J’en garde aussi un très bon souvenir, du lieu (qui apparemment a changé depuis), de l’accueil, du concert avec Arnaud (Benoist), ça me fait vraiment plaisir de revenir.
Pour ce qui est de ma musique, depuis j’ai beaucoup travaillé en solo au sax soprane. J’y accorde beaucoup d’importance et de temps ; cela me demande à la fois d’avoir plus d’exigence et d’assumer ma démarche pleinement. Cela me fait avancer réellement. J’ai aussi beaucoup travaillé avec Etienne (Ziemniak) pour un duo batterie/sax mais rien à voir avec le duo d’il y a deux ans avec Arnaud puisqu’il s’agit du traitement alternatif des deux instruments acoustiques (sax sans bec et peaux frottées). Aujourd’hui il me reste trois projets, le solo, le duo dont je viens de parler et le trio que vous entendrez le 8 janvier prochain. Ces trois projets sont réellement différents, j’attache une importance à la force identitaire de chacun, c’est aussi pour cela que je ne multiplie pas les groupes.
LF : Comment envisage-t-on de nouveaux projets lorsque l'on joue du free jazz ? Est-ce le fait de nouvelles rencontres ou l'envie d'un nouveau répertoire? Votre musique est-elle toujours sans musique écrite ?
PG : Ce sont plutôt des projets qui naissent au gré de rencontres ou d’envies. D’ailleurs, pas forcément dans le style « free jazz ». Cette musique est en devenir de par le fait que les musiciens le sont aussi et elle est donc en perpétuelle évolution, c’est pourquoi je ne ressens pas la nécessité de fixer des choses par l’écriture au sens classique du terme. De plus étant donné son caractère performatif c’est une musique de l’instant qui se renouvelle à chaque concert.
GB : Pour être franc, je n’envisage pas de nouveau projet mais hypothétiquement ce serait sans doute lié aux deux raisons que vous évoquez ; rencontre et répertoire. Je ne conçois pas d’avoir la même démarche avec deux groupes différents donc il faudrait développer quelque chose d’autre : thème, forme… Pour ce trio, il n’y a pas d’écriture mais pour moi ce n’est pas une revendication propre, s’il me fallait écrire pour réaliser un projet de musique alors je le ferai.
LF : Comment travaillez-vous cette musique ?
PG : Il n’y a pas réellement de travail de groupe au sens habituel du terme. Personnellement, je vois le trio comme trois sphères distinctes, chacune étant prise dans un devenir qui lui est propre et qui partage un temps et un lieu commun : celui du concert. C’est l’émancipation de chacun qui modifie et tire la musique dans telle ou telle direction. Ces modifications ne sont pas le fruit de décisions esthétiques communes, elles s’opèrent petit à petit par glissement et ajustement en fonction de là où chacun en est.
GB : Le travail dépend des personnes constituant le groupe. Dans ce trio, il n’y a pas de travail collectif mais par exemple dans le duo avec Etienne (Ziemniak), il y en a eu beaucoup. Nous avons enregistré toutes les semaines pendant plusieurs mois qui se comptent aujourd’hui en années. Chaque enregistrement a fait l’objet d’écoutes analytiques individuelles et collectives. Ce travail nous a permis d’être en accord sur la démarche ainsi que sur le résultat souhaité et projeté.
LF : Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur la citation de John Cage sur un de tes disques « J’aimerais disposer et de la simplicité et du chaos » ?
GB : Cette citation est dans le cd « Angela » en duo avec Arnaud Benoist. Nous n’avions pas envie d’écrire sur la musique, c’est toujours très délicat de parler ou d’écrire sur la musique quelle qu’elle soit. Je pense que c’est possible mais dans un sens pratique et technique ou philosophique, ce qui nous éloigne du son. Aussi nous avons pensé à une citation. A ce moment-là je lisais « conversations avec John Cage » de Richard Kostelanetz. On aurait pu en choisir une autre mais celle-ci correspondait bien à notre état d’esprit à « l’époque », un peu anarchistes mais pas dans le sens « péjoratif » du terme, c’est à dire sans violence et avec beaucoup d’honnêteté.
LF : Le free jazz voulu être aussi une libération culturelle profonde pour les Noirs américains." Alors trouves-tu toujours d'actualité la citation suivante de Max Roch : "« … la volonté d'utiliser nos efforts artistiques comme tremplins pour exprimer nos revendications humaines, sociales et politiques est très naturelle...»
PG : C’est vrai en partie, mais pour ma part plus qu’une revendication directe, ce qui reste aujourd’hui est le caractère intrinsèquement transgressif que cette musique contient. Son anarchie chaotique constitutive lui confère son identité politique ainsi que sa manière de prendre en compte l’individu dans son unicité et de l’inscrire dans un temps et un lieu commun.
GB : Oui je pense que c’est toujours d’actualité et cela le sera toujours même si nous n’en avons pas toujours conscience. Tout est question de contexte, cette musique n’est pas venue à moi en tant que revendications sociales ou culturelles mais par le biais de musiciens qui trouvaient sincèrement que c’était la musique la plus intéressante musicalement, physiquement et intellectuellement. En bref, des passionnés. Ils m’ont donné l’envie, c’est aussi simple que ça. C’est ensuite en lisant, en écoutant, en me documentant, que je me suis rendu compte de cette portée sociale et politique mais je ne suis pas noir américain donc ma finalité reste musicale. Ceci dit, rien n’est dû au hasard…et les liens sont parfois visibles tardivement.
LF : Votre musique parle d'instantanéité, d'immédiateté, de radicalité. Au même titre que la musique improvisée, n'est-elle pas une musique de concert, de scène, par excellence ? Dès lors, comment la faire vivre en studio ?
PG : Il existe aussi de très bons disques de studio. Je pense que cela reste lié à l’attitude des musiciens en studio, à la qualité des enregistrements et aussi au talent du preneur de son qui sait saisir l’essence de cette musique. Les disques de Charles Gayle ne me semblent pas si différents qu’ils soient enregistrés en public ou en studio. Souvent les moyens d’enregistrement sont dérisoires pour cette musique comparés à une production autre. Il me semble qu’une musique est vivante à partir du moment où elle s’adresse à quelqu’un ou à quelque chose, qu’il soit présent ou non. C’est une des problématiques de l’artiste, je ne pense pas qu’il y ait d’art sans adresse.
GB : Je ne pense pas qu’il y ait de musique de scène « par excellence », je préfèrerai toujours écouter la musique en live plutôt que sur ma chaîne et ce pour n’importe quel style. En l’occurrence, la musique improvisée s’opère sur le présent c’est pourquoi j’ai beaucoup de mal à concevoir cette musique sur un support fixe en tant qu’objet de musique aussi je le considère comme témoin, d’une époque, d’un style, d’un moment.
LF : Votre musique libre, proche parfois du free jazz, est une musique de dépassement, voire d'excès, éventuellement une source de colère libératoire. Vous arrive-t-il, cependant, de jouer sur des tempos lents ou des atmosphères retenues, "à l'intérieur", comme on peut l'entendre, entre autres, sur certains morceaux de l'Art ensemble ou Sun Ra ?
PG : Je ne pense pas cette musique en termes de tempo mais j’y entends plutôt des « flux » à des vitesses variables. C’est peut être ça la différence entre le free jazz d’une certaine époque et celui d’aujourd’hui bien que dans les impros solo au synthétiseur de « Sun Ra » tout cela y était déjà !
GB : Personnellement je n’ai pas de colère à libérer par le biais de la musique j’essaie justement d’être le plus détendu et relâché physiquement pour jouer de façon générale et particulièrement dans le trio. Comme il n’y a pas de directive esthétique dans ce groupe, tout est question d’instant et aucune porte n’est verrouillée, tout est donc possible autant les tempo lents que les espaces minimalistes. Je pense que ce sont des zones que nous développerions si nous jouions très fréquemment, justement pour ne pas rentrer dans un systématisme.
LF : Quels sont les musiciens (récents ou moins..) desquels vous vous sentez musicalement proches ?
PG : Mat Maneri trio, Charles Gayle, Keiji Haino, Cecil Taylor, Nakamura, John Cage etc. certains ont une musique qui semble très éloignée mais le processus est proche ou m’intéresse. Pour ma part le processus m’importe plus que l’esthétique.
GB : Charles Gayle, Dewey Redman, Albert Ayler, Ewan Parker, Alex Von Schlippenbach, Axel Dörner …pour ce qui est d’une esthétique musicale mais, ceci dit beaucoup d’autres sont forces constituantes pour moi: Keith Jarrett, Charlie Hadden, Bach, Sonny Rollins, John Coltrane, Sonny Stitt, Morton Feldman, John Cage…..c’est infini.
LF : Dans le contexte électoral et médiatique actuel, quelles seraient vos critiques, revendications et suggestions en terme de politique culturelle vis-à-vis des institutions publiques ?
PG : C’est un mot que je n’aime pas beaucoup car pour moi la culture n’a pas grand-chose à voir avec l’art. La politique tente toujours d’opérer un glissement entre l’art et le culturel. La culture se contrôle c’est un gagne-pain, un divertissement « entertainment » comme disent les anglo-saxons. L’art est par essence transgressif, incontrôlable et donc craint du politique. Donc, pour ma part la politique culturelle est toujours ce dont je me méfie et l’art ce qui m’aide à tenir.
GB : Ma réponse ne saurait être différente, en tous points.
Merci et rendez-vous le dimanche 8 janvier à 16h30
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